INTERVIEW: Doudou Diene affirme qu'il y a nécessité de maintenir un mécanisme international indépendant qui puisse enquêter sur les violations des droits humains au Burundi

La COI est convaincue de la nécessité de maintenir un mécanisme international indépendant qui puisse enquêter sur les violations des droits de l'homme et observer l'évolution de la situation des droits de l'homme dans le pays de manière objective. Elle est tout à fait prête à continuer son travail si le Conseil des droits de l'homme lui demande., mais la décision reste avec le Conseil.

Par
Athanase KARAYENGA
on
24.9.2020
Categorie:
Justice

Au cours d'une interview accordée à BurundiDaily.net, Doudou Diène répond aux questions d'Athanase Karayenga.

BURUNDIDAILY.NET: Dans votre introduction, vous avez évoqué « la profondeur historique du conflit burundais et de la culture de la violence au Burundi. »

Par comparaison, le conflit Israélo-Palestinien, le conflit en Afghanistan, le conflit dans le Kashmir sont,pour certains, plus anciens que le conflit burundais. Cependant, la communauté internationale continue à aider les protagonistes à chercher une solution pacifique et durable à ces conflits.  

Est-ce une façon, pour la Commission d’Enquête, d’insinuer que le conflit burundais est insoluble puisqu’il s’inscrit dans une sorte de fatalité ancrée dans l’histoire et dans la culture de violence au Burundi ?  

DOUDOU DIENE: La profondeur historique signifie que les causes profondes de la crise Burundaise s’inscrivent dans le temps le long de l’histoire du Burundi, essentiellement depuis la colonisation et sa double stratégie de domination: l’ethnicisation et la conflictualisassions de la population. Cette stratégie a été instrumentalisé ensuite par les hommes politiques pour la conquête et la conservation du pouvoir. En conséquence les violations des droits de l’homme doivent être résolues par des politiques durables et en profondeur pour éradiquer ces causes profondes et non par des mesures cosmétiques. Les conflits que vous mentionnez ne sont pas plus anciens que celui du Burundi.

BURUNDIDAILY.NET: Parmi les facteurs de risque de la crise persistante au Burundi, la Commission relève le fait

·       que des personnalités présumées coupables de graves violations des droits humains et placées sous sanctions internationales occupent les plus hautes fonctions au Gouvernement,

·       que le Gouvernement est dominé par les militaires ;

·       que l’impunité de crimes persiste ;

·       que les médias et les organisations de la société civile indépendants sont toujours bannis.

 Est-ce que la Commission d’Enquête et la Communauté internationale seraient tentées de jeter l’éponge devant une crise qui semble conduire le Burundi dans une impasse ?

DOUDOU DIENE: La Commission regrette effectivement l'impasse dans lequel se trouve la crise du Burundi et le fait que la transition politique en cours ne semble pas y remédier. Le mandat de la COI n'est pas de résoudre cette crise qui est essentiellement politique mais d'enquêter sur les violations des droits de l'homme et possibles crimes internationaux qui sont étroitement liés à cette crise, qui en découlent. La COI a par ailleurs proposé des mesures à prendre par le Gouvernement pour améliorer la situation et c'est maintenant sa responsabilité de les mettre en œuvre.

La COI est convaincue de la nécessité de maintenir un mécanisme international indépendant qui puisse enquêter sur les violations des droits de l'homme et observer l'évolution de la situation des droits de l'homme dans le pays de manière objective. Elle est tout à fait prête à continuer son travail si le Conseil des droits de l'homme lui demande., mais la décision reste avec le Conseil.

BURUNDIDAILY.NET: Le dernier rapport de la Commission d’Enquête des Nations Unies met un accent particulier sur les violences sexuelles infligées aux femmes et aux hommes de l’opposition. Parmi ces violences figure l’injection de substances dans les sexes des jeunes hommes qui les rendent ensuite impuissants et les empêche d’avoir des enfants.

Est-ce que cette violence particulière qui figure parmi les critères de la définition même du Génocide,selon la Convention internationale de Répression et de Prévention du crime de Génocide de 1948, ne devrait pas déclencher immédiatement une procédure de la justice internationale contre les présumés coupables de ces crimes ?

DOUDOU DIENE: Nous avons procédé à une analyse des violences sexuelles commises contre les hommes en tant que forme de torture depuis 2015, qui est une pratique qui existe malheureusement dans de nombreux pays. Des cas d'impuissance et de stérilité de certaines victimes ont été documentés comme une des conséquences de ces tortures - mais parfois cela n'est que temporaire. Nous n'avons pas documenté que c'était un de buts spécifiquement recherchés par les auteurs de ces violences sexuelles et des victimes ont souffert d'autres formes de conséquences que celles- ci.  Bref, nous n'avons pas documenté qu'il existe une politique ou une stratégie spécifique visant à stériliser ces victimes - qui d'ailleurs faisaient partie de toutes les ethnies- et donc cela n'entre pas selon les informations en notre possession dans le cadre de la définition du génocide.

BURUNDIDAILY.NET: Depuis le début de sa mission, la Commission d’Enquête des Nations Unies a produit des rapports de très grande qualité. Ils ont mis à jour d’innombrables violations des Droits Humains au Burundi. Et les victimes de ces exactions attendent impatiemment que la Justice Internationale entame des processus judiciaires contre les présumés coupables des crimes abominables dénoncés dans ses rapports.

Si par malheur le mandat de la Commission d’Enquête n’était pas renouvelé, que deviendront ces rapports ? Juste des archives pour l’Histoire ?

 DOUDOU DIENE: Les rapports des Commissions d’enquête y compris celle sur le Burundi ont plusieurs conséquences et résultats. Il y a entre autres, documenter de manière objective les violations des droits de l’homme, identifier leurs responsables et analyser leur nature de crime de droit international, contribuer à l’information de la population Burundaise, informer la communauté internationale sur ces violations, et donc la mobiliser pour les combattre, indiquer les mesures à prendre pour les autorités politiques, contribuer au combat contre l’impunité et donner substance aux actions nécessaires de justice, nationale, régionale et internationale., et enfin, contribuer aux activités et mandats d’autres mécanismes des droits de l’homme qui examinent de manière continuelle la situation des droits de l’homme au Burundi.

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