Le CNDD-FDD, maître de la stratégie du fait accompli: Après isolement de Rwasa, mise en place d'une loi électorale qui écarte les compétiteurs

Encore une fois, la quête et la soif de pouvoir priment sur l’intérêt national. Avec cette « Nyakurisation » du parti de Rwasa, le seul opposant credible, le CNDD-FDD recule sur le terrain de la gouvernance démocratique. Car l'éjection, de façon aussi ridicule, de l'opposant de taille comme Agathon Rwasa, ne glorifie pas le CNDD-FDD au pouvoir depuis 2005 et, qui est visiblement incapable de désembourber le pays à tous points de vue. Cette démolition du parti de Rwasa Agathon est également un acte d’auto-sabotage.

Par
Burundi Daily
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13.4.2024
Categorie:
Politique
Photo @jeune-afrique

« La clé de la stratégie du fait accompli est d’agir rapidement, sans discuter. Si vous affichez vos intentions avant de passer à l’acte, vous vous exposez à un déluge de critiques, d’analyses et de questions. (…) Pour éviter cela, saisissez-vous de votre cible sans ambages, et la discussion est close. Tôt ou tard, selon la même logique, vous franchirez une nouvelle étape (…). Votre rival, cette fois s’inquiétera. Il commencera à comprendre.(…) Quand votre but deviendra évident, quand vos ennemis regretteront leur pacisfisme et songeront à se battre, vous aurez déjà changé la donne(…). »

Cette stratégie n'est pas nouvelle chez le CNDD-FDD. Elle avait été magistralement déployée par Pierre Nkurunziza et ses alliés les plus proches pour tout d'abord expulser du parti tous les intellectuels qui s'étaient rebellés contre le troisième mandat de Nkurunziza, deuxièmement pour réprimer brutalement toute opposition interne et toutes les voix critiques.

Troisièmement, cette même stratégie a été usée pour isoler et intimider toutes les organisations internationales et pays qui avaient traditionnellement joué un rôle important dans le financement du budget de l'Etat et résolutions des conflits au Burundi; et enfin pour humilier l'opposition qui avait rassemblé dans une plateforme politique (le CNARED) tous les opposants au troisième mandat de Pierre Nkurunziza.

Malgré ce coup de maître, le pays a continué de sombrer dans un état politique et économique très catastrophique. Les conséquences de cette stratégie se font sérieusement sentir aujourd'hui. Ce forcing politique a fait mordre la poussière à toute l'économie du Burundi. Le Burundi manque de tout pour le moment: le sucre, le carburant, les médicaments, l'eau et l’électricité. Malgré ce tableau sombre de carence de produits stratégiques, le CNDD-FDD parle d'un Burundi émergent en 2040 et prospère en 2060. Maître de l'art du fait accompli, peut-être qu'il a une stratégie pour y arriver qui n'a pas encore été révélée aux Burundais.

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Acculé par le communauté internationale et surtout par la force des généraux du système qui ne le voulaient plus comme président, Pierre Nkurunziza a rapidement compris qu'il ne pouvait pas continuer d'avancer et a déployé un de ces coups les plus magistraux à ce jour: il a déclaré qu'il ne se représenterait plus pour un autre mandat.  Ce coup a pris la puce de négociation de l'opposition, ce qui a entraîné un effondrement complet des négociations qui avaient été initiées par l'EAC. Un autre fait accompli déployé pour couper l'herbe sous les pieds de l'opposition et assurer la dominance du parti de l'aigle.

Son intransigeance et son caractère impitoyable ayant neutralisé presque toutes les entités qui étaient contre sa politique et ses impulsions totalitaires, Pierre Nkurunziza, sous-estimant la force de l'opposition des burundais aux impulsions dictatoriales qui ont englouti le CNDD-FDD, un parti autrefois considéré (en particulier dans les sphères des masses hutues), comme une organisation politique attachée à la libération et à la démocratie, il a permis à Agathon Rwasa de créer un nouveau parti et même de se présenter contre le candidat du CNDD-FDD aux élections présidentielles. Certains diront qu'il avait voulu gâcher par ce soutien à Rwasa, la candidature d'Evariste Ndayimishimiye contre qui il avait préféré Pascal Nyabenda.

Aujourd'hui, face à un Agathon Rwasa extrêmement populaire et à une population désireuse de tourner la page de la misère imposée par cette dictature du CNDD-FDD, cette politique de la stratégie du fait accompli est entrain d'être déployée par le même cercle qui contrôle le parti au pouvoir et le pays. Cette fois-ci, elle est déployée pour en découdre avec cet opposant qui gène et qui continue d'exposer l'incompetence du "système CNDD-FDD".

Rwasa Agathon se retrouve devant un fait accompli et sans parti politique

Cette stratégie du fait accompli fonctionne mieux lorsqu'il n'y a ni droit d'expression, ni droit de manifester et lorsque la justice est complètement inféodée au pouvoir. Convaincu que le système judiciaire ne peut rien faire pour intervenir, Evariste Ndayishimiye, par le biais de son ministre de l’intérieur vient de lancer son boulet de démolition sur la seule force d'opposition au pays, le parti CNL d'Agathon Rwasa.

Tout le monde a vu venir cette décision du ministre Martin Ninteretse. Ce ministre de l’Intérieur avait montré ses cartes depuis quelque temps. Premièrement, il a interdit les activités du parti tout en reconnaissant que Rwasa était le patron légal et légitime du parti. Puis, tout à coup, fidèle à la stratégie du fait accompli, il a autorisé et financé un congrès national du parti CNL. Au rendez-vous, une dizaine de frondeurs et une horde de miliciens Imbonerakure qui avaient reçu pour instruction de se faire passer pour des membres du parti CNL. Ils étaient transportés par bus depuis les quatre coins du pays.

Les véritables membres du parti ont été bloqués et interdits de se rendre à Ngozi, où se tenait l'assemblée générale. Ceux qui ont réussi à y arriver ont été humiliés et obligés de s'asseoir par terre et sous le soleil alors qu'ils étaient tenus sous la menace d'une arme par la police locale. Une stratégie bien pensée alors pour un système qui veut garder le monopole du pouvoir.

Les élections présidentielles sont programmées en 2027, deux ans après les législatives qui se tiennent en 2025. Selon l'article 99 de la constitution, un membre d'un organe dirigeant d'un parti politique ne peut se présenter comme candidat indépendant qu'après un délai de deux ans après son exclusion ou sa démission du parti d'origine. Il y a donc possibilités que Rwasa se présente comme un candidat indépendant ou forme un autre parti politique. Pour le moment, il n'a ni démissionné, et il n'a pas encore été expulsé du parti par les frondeurs qui désormais contrôlent le CNL.

L’horloge tourne et le temps passe. Il est fort probable que pour isoler complètement Rwasa et barrer sa route à la candidature aux présidentielles, le CNDD-FDD va exiger et organiser son expulsion du CNL à peu près de moins d'un an des élections présidentielles.

Encore une fois, la quête et la soif de pouvoir priment sur l’intérêt national. Avec cette « Nyakurisation » du parti de Rwasa, le seul opposant credible, le CNDD-FDD recule sur le terrain de la gouvernance démocratique. Car l'éjection, de façon aussi ridicule,  de l'opposant de taille comme Agathon Rwasa, ne glorifie pas le CNDD-FDD au pouvoir depuis 2005 et, qui est visiblement incapable de désembourber le pays à tous points de vue. Cette démolition du parti de Rwasa Agathon est également un acte d’auto-sabotage. Le Burundi s’efforce désespérément depuis 2020 de regagner la confiance des bailleurs de fonds et partenaires internationaux qui avaient refusé de fournir de l’aide au Burundi après l’usurpation du pouvoir en 2015 par Pierre Nkurunziza.

Ce dernier acte antidémocratique qui vient verrouiller davantage l'espace politique va renforcer dans l’esprit des bailleurs de fonds le sentiment selon lequel le parti au pouvoir au Burundi n’est pas un partenaire sérieux.

Un autre fait accompli: Verrouiller encore plus l'espace politique en exigent de sommes faramineuses pour être candidat

Comme si cela ne suffisait pas pour discréditer le parti au pouvoir. Une loi électorale qui vient d'être votée à l'unanimité par les parlementaires impose des conditions extrêmement lourdes à quiconque souhaite entrer en compétition contre le parti au pouvoir. De la circonscription la plus petite aux collines jusqu'aux élections nationales, les sommes requises comme cautions pour être admis comme candidat aux élections l sont excessivement prohibitives. Seuls les candidats du parti au pouvoir qui dispose de coffres bien garnis pourront mettre la main sur ces sommes exigées.

Selon le ministre de l’intérieur, ces nouvelles exigences auraient été introduites pour barrer la route aux candidats "fantaisistes". Or, dans un système véritablement démocratique, même les candidats "fantaisistes" ont droit de se présenter aux élections. Surtout qu'aucune candidature de l’opposition n'est financée par l'Etat et donc leur "fantaisie" ne coûte rien à l'Etat.

Donc un pays le plus pauvre au monde, avec 87 % de la population vivant avec moins de 1,9 USD/jour selon la Banque mondiale et un PIB par habitant de 309,1 USD en 2022 selon le FMI, exige une caution de deux cent mille francs burundais pour la candidature au poste de conseillers communaux, deux millions de francs burundais pour les candidats sénateurs et députés et cent millions de francs burundais pour le candidat aux présidentielles.

Fait accompli encore une fois, la boucle est bouclée et le jeu est bloqué contre l'opposition!

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