Les propos de Kagame au Benin suscitent un tollé en RDC

Il a en effet abordé la question de l’impact colonial sur les frontières ainsi que son impact sur les populations ethniques, parlant le Kinyarwanda dans la région des Grand-Lacs: «Les Congolais ont bénéficié de l’héritage rwandais, les frontières qui ont été érigées durant la période coloniale ont affecté et divisé nos peuples. C’est évident. Vous pouvez remonter dans l’histoire»Certaines réactions parlent de la fourberie de l’histoire de la région des Grands Lacs.

Par
Alex Mvuka
on
23.4.2023
Categorie:
Afrique

Pourquoi le discours du Président Rwandais Paul Kagame au Benin crée des réactions venimeuses plus que l’héritage divisionniste Belge ?  

Le discours prononcé le 16 Avril 2023 par le président rwandais Paul Kagame lors d’une interview accordée à la presse au Benin, ont fait tiquer nombre de Congolais.

Il a en effet abordé la question de l’impact colonial sur les frontières ainsi que son impact sur les populations ethniques, parlant le Kinyarwanda dans la région des Grand-Lacs: «Les Congolais ont bénéficié de l’héritage rwandais, les frontières qui ont été érigées durant la période coloniale ont affecté et divisé nos peuples. C’est évident. Vous pouvez remonter dans l’histoire»

Certaines réactions parlent de la fourberie de l’histoire de la région des Grands Lacs. D’autres font des références sur l’État Independent du Congo (EIC) et les conflits des frontières entres les puissances coloniales : d’un côté le roi de la Belgique, Léopold II, et de  l’autre côté, l’Allemagne. Le roi Léopold II est aussi cité par certains analystes Congolais comme « le vaillant des frontières Congolaises contre la tricherie des Allemands ».

Est-ce que le Président Rwandais a faussé l’histoire ? En Afrique la notion de citoyenneté n’a pas soixante ans d’âge. Les identités linguistiques et ethniques restent plus importantes et devraient par conséquent être déterminantes. Étant une question associée aux frontières du pays mais aussi à la souveraineté d’un état, la citoyenneté est souvent manipulée par certains leaders africains mais aussi devient un sujet que les intervenants extérieurs traitent d’une façon très simple mais ça perpétue la violence en RDC.  

La RDC et la Côte d’Ivoire sont des exemples typiques. La question des identités transfrontalières reste la cause principale des conflits et violences. En RDC, les identités politiques et ethniques des groupes qui parlent une langue vernaculaire au Kinyarwanda dans les provinces du Nord et Sud-Kivu sont non seulement contestés mais elles sont des instruments de la politique du populisme surtout à l’approche des échéances électorales. La compréhension qui, objectivement, dans une société multilingue et multiculturelle, le faciès et l’affiliation linguistique ne peuvent pas être une base qui détermine si une personne est d’une citoyenneté quelconque ou pas. Au Côte D’Ivoire la question semble avoir été gérée temporairement mais la notion sur ce qui constitue un Ivoirien est souvent dans les débats politiques et électoraux.

Je vais alors analyser ce sujet en profondeur afin de vérifier la véracité des propos du Président rwandais. La carte de l’Afrique montre encore clairement, avec ses lignes droites, comment bizarrement l’Afrique a été partagée entre les puissances coloniales en 1884.

La RDC, une étendue égale à la superficie de l’Europe occidentale est tombée dans l’escarcelle du roi Léopold II de la Belgique.

Ce territoire de la RDC est devenu sa propriété privée. Les traçages des frontières n’eurent pas tenu compte des centaines des langues regroupant des différentes ethnies et groupes culturels qui les unissent.

Prenons quelques des cas illustratifs: Les peuples Fula, autrement connus comme des Fulbe ou des Fulani vivent dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, mais aussi ils sont trouvés en Afrique central et au Soudan du Nord.

Les Fula sont généralement des peuples de hauts plateaux dans le Fouta Djallon. Le Fula (pulaar) est considéré comme une langue nationale en Guinée Conakry et en au Sierra Leone. Dans les deux pays les Fula pratiquent la religion musulmane mais aussi partagent des traditions et rituelles.

Les Haoussas au Nigeria représentent 13% de la population Nigériane. Mais ce même groupe représente 45% de la population du Niger.

Les Babemba sont trouvés au Katanga en RDC et en Zambie. Ils parlent Cibemba (Kibemba). En RDC, ils vivent dans les territoires de Sakanya, Kasenga et Pweto. Mais le Kibemba est la langue la plus parlée en Zambie.  Les Bakongo sont en RDC, au Nord de l’Angola et au Congo-Brazzaville: L’ancien royaume de Kongo consistait de Bas-Congo, la région de Cabinda, au Nord-Ouest de l’Angola et une partie du Congo-Brazaville. Les deux régions furent unifiées au 14eme siècle. Il y eut six provinces dirigées par un gouverneur sous l’autorité du roi dont son siège fut dans le capital de Mbanza (aujourd’hui Sao Salvador en Angola). La solidarité entre les peuples Bakongo est basée sur cet ancien royaume de Kongo mais aussi l’unité de culture et linguistique.

Au Togo et au Ghana, on trouve le peuple Kotokoli qui est dans plusieurs communautés au bord des frontières entre ces deux pays. La frontière de Kue, au Ghana, est reconnue par tous les Katokoli du Ghana comme leur ville natale. Kue se trouve sur la route qui lie la région de la haute volta et la ville importante, Sokodé, au Togo. La Tanzanie et le Kenya sont aussi un exemple important avec les peuples Masaïs qu’on trouve dans de deux côtés des frontières de ces deux pays.

Conférence de presse des Présidents Rwandais et Beninois

Le cas de la Tanzanie et le du Burundi illustre aussi ce phénomène: on y trouve les peuples des Abaha de part et d’autre des frontières nationales. Ils ont des nationalités différentes et sont des voisins. De même dans le Bufumbila où les habitants de deux cotés des frontières entre le Rwanda et l’Ouganda ont des parentés.  

En RDC, avec le cas spécifique du Nord Kivu, la Conférence de Berlin en 1885 eut annexé un quart du territoire du royaume du Rwanda au Congo Belge. Les autorités coloniales (Belges et Allemands) se sont partagées les territoires et la population de peuple Kinyarandaphones.

Ces peuples habitèrent dans le Bwisha avant la Conférence de Berlin. Entre 1926 – 1950, Il y a d’autres groupes au Nord Kivu qui eurent été transplantés depuis le Rwanda et le Burundi (comme les trois pays étaient des colonies Belges).

Les frontières au Nord Kivu n’ont été déterminées que 25 ans après la conférence de Berlin.

Des différents peuples se sont retrouvés entre la ligne artificielle qui sépare les deux pays, le Rwanda et la RDC.  Ceux qui sont au Congo sont devenus les Congolais d’héritage ou d’expression Rwandaise. Cependant, ces dernières sont jusqu’aujourd’hui considérées comme des étrangers.  

La même situation se trouve en Uganda, au sud des volcans, au Rwanda et la RDC, ici la majorité de la population est d’expression Rwandaise. En effet, presque toutes les populations dans les Kisoro, en Uganda, Byumba (Rwanda) et Jomba (RDC) parlent le kinyarwanda, à quelques différences près. Le Karagwe en Tanzanie fait partie des parties affectées par la séparation. Ainsi qu’une des régions de Tanzanie, Bugufi, qui était du Burundi.

En RDC, ces cas sont nombreux, on peut citer quelques-uns : les Banande du Nord-Kivu sont les mêmes que les Bakonjo en Uganda. Dans la province orientale, dans le Sud Soudan et Nord-Ouest, on trouve les Kakwa, les Alur, les Lugbara et les Balendu. Au Nord-Est de la RDC, il y a les Mongos et les Ngbandi. Ils ont leurs frères en République Centrafricaine.  

Certaines de ces frontières artificielles eurent pas aucun impact sur les séparations des peuples. Par exemple, tous les Lunda (Mwant Yav), en Zambie, Angola et RDC, se retrouvent sous la même autorité coutumière transfrontalière. Les Lundas reconnaissent tous leur roi Kapanga. Les Lundas du Bandundu et du Katanga et leurs frères de l’Angola, les Bambunda d’Idiofa et leurs oncles Angolais, les Babemba du Katanga et leurs frères Zambiens, les Cokwe du Kasaï, les Pende, les Bahoholo et les Basuku de Tembo (Bandundu) et leurs frères respectifs de l’Angola.

Deuxième réaction est l’idée que les colons savent mieux des frontières entre le Rwanda et la RDC. C’est soit une ironie ou une colonisation mentale. Au bout de 12 ans du règne du roi Léopold II, il y a eu les tueries de 12.000.000 de congolais dans la récolte de caoutchouc. Les recensements faits après son pouvoir prouvent la disparition de cette population. Pendant l’EIC et la colonisation Belge c’était l’un des plus grands et humiliants pouvoirs hégémoniques au monde.

Le roi Léopold II est sorti de la RDC par force après les campagnes agressives de Me David William Washington (un avocat noir américain) et Edmund Morel, un jeune écrivain Franco-Britannique et Roger Casement, un diplomate irlandais. Prendre Léopold II comme un protecteur de la RDC contre la balkanisation, c’est méconnaitre ses méfaits sur la population congolaise.

Un des grands problèmes des congolais c’est une méconnaissance de leur histoire. Beaucoup des Congolais sont fiers des identités importées des héritages coloniaux. Mais surtout ils adorent la façon donc leurs maîtres coloniaux les ont définis. Comme si leurs vies commencent avec les colons. Il n’y a souvent pas une ambition de tracer leurs propres histoires. Aucun peuple africain n’est fier de l’histoire coloniale sauf les Congolais.

Les Belges eux-mêmes ont hontes quand les Congolais parlent « de la civilisation Belge » ou la « culture de civilisation en RDC ». Les Belges savent qu’ils ne sont pas un exemple ni de la civilisation ni de la moralité. Les Congolais sont prêts à s’entretuer et s’entre-haïr plutôt que de penser à l’histoire lointaine qui les a divisés. Un problème de cultures et d’éducation civique.

Dans le discours du Paul Kagame, il n’y a pas une demande de la révision de l’histoire et frontières. Que le Rwanda ait une partie du Congo ou le Congo ait une partie du Rwanda, cela est un fait colonial. Aucune personne de ces deux pays réclame une portion de terre. Cependant, le Congo veut affirmer son territoire colonial sans accepter les peuples sur certains territoires dans le Nord et Sud Kivu. La RDC reproche aux les rwandophones de parler une langue similaire au Kinyarwanda, et certains d’avoir le faciès tutsi. Pourtant, un bon nombre des Congolais parlent le Français, une langue étrangère, mais c’est un paradoxe que le ne veut pas accepter ceux qui parlent le Kinyarwanda, une langue à la fois congolaise et Rwandaise.

Un autre problème majeur reproché à ces communautés est l’existence d’un système colonial de citoyenneté en RDC. Les colons belges ont défini l’autochtonie en termes des chefferies. Il y a eu les suppressions des pouvoirs coutumiers de Banyamulenge au Sud Kivu et de Banyarwanda au Nord Kivu au profit des autres communautés locales. Ces questions furent aussi des éléments amplificateurs de la négation de l'appartenance des rwandophones à la nation Congolaise au Kivu. Ceci est la raison pour laquelle, il y a des réactions virulentes au discours du président Paul Kagame.

Le président Rwandais a aussi mentionné l’Uganda et la Tanzanie mais ces des pays n’ont pas réagis à ce discours. Pourtant, ces deux pays ont aussi des conflits diplomatiques avec le Rwanda. Ce qui montre que ce débat est un signe de rejet et le manque du processus de décolonisation en RDC.

La solution durable aux conflits en RDC dépend de la cohésion de ses diverses et riches groupes ethniques dans et au-delà de leurs frontières. Les chefs des états Africains doivent reconnaitre les conséquences humaines de la colonisation et trouver la solution à la question de l’identité ethnique et du sens d’appartenance aux sociétés Africaines.

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Alex Mvuka

Doctorant en Sciences Politique et Relations Internationales, Université de Kent. Il est analyste politique sur la région des grands lacs et directeur du Centre de Recherches et d’Analyses sur la Région des Grands Lacs