Novembre (1er) 1976: Arrivée au pouvoir du Colonel Jean-Baptiste Bagaza, le président bâtisseur et début d'une décennie de rare accalmie au Burundi

Tout le monde reconnait, aujourd'hui, que Jean Baptiste BAGAZA aura été l'artisan de la reconstruction économique du Burundi, après plusieurs années, de traumatismes, de frustration et de mauvaise gestion des ressources nationales. L`on peut, néanmoins ethnique, déplorer son autoritarisme et son refus de discuter de la question dans la gestion du pouvoir. Nonobstant ces lacunes au niveau politique, les populations burundaises ont beaucoup apprécié son engagement envers la satisfaction des besoins essentiels, l`autosuffisance alimentaire, etc

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Andre Nikwigize
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22.11.2021
Categorie:
Opinion
Par André Nikwigize

En novembre 1976, exactement au premier jour de ce mois, les Burundais se rappellent de ce jour où le président burundais, Michel MICOMBERO, fut renversé par un coup d'État, orchestré par le Conseil Suprême Révolutionnaire (CSR), qui institua la Deuxième République et désigna le Colonel Jean Baptiste BAGAZA, Président de la République

Cette IIème République suscita immédiatement de grands espoirs auprès de la population, traumatisée par les années de la Première République, réalisées par les tentatives de coups d'État et massacres de 1965, 1969, 1971 et 1972. Dans toute la ville de Bujumbura, c `étaient des manifestations de joie, sincères et pleines d`espoirs. Depuis la victoire de l`UPRONA, le 18 septembre 1961, on n`avait pas connu de telles manifestations de joie. Quelques années, plus tard, quand il n`était plus aux affaires, Jean Baptiste BAGAZA se rappelle de sa visite en Province de Ngozi, et qu`une population nombreuse vint à sa rencontre. Alors, Stanislas KABURUNGU, évêque de Ngozi, lui souffla ceci : « Monsieur le président, vous pouvez lire dans les yeux de toutes ces populations, femmes, enfants et vieillards qui sont venus vous accueillir, l'espoir. Ne les décevez pas ».

Avancées Economiques et Sociales Notables

Le régime témoigna d'une capacité assez remarquable à mobiliser les aides internationales (sauf celles des ONG et des réseaux liés aux Eglises !).

En 10 ans, le Burundi enregistré de grandes avancées en matière économique.

Un pays sans infrastructures ne peut pas se développer

Plusieurs projets ont été réalisés, notamment les routes d'intérêt national, les pistes rurales pour faciliter l'évacuation des productions agricoles, les silos de stockage, les usines de transformation, notamment du café, du blé , de l`huile de palme, du poisson, etc. Le réseau routier passa de 200 km asphaltés, en 1976, à près de 1O00 km en 1987 ; 9 centrales hydroélectriques ont été construites dans le pays ; la Région de l`Est et du Sud-Est fut désenclavée et mise en valeur, par des projets routiers et agricoles.

Une politique agricole bien pensée

Le gouvernement lança la politique du « compter sur ses propres forces », et donna la priorité au développement agricole et à la modernisation des méthodes culturelles. Les solutions proposées comprenaient notamment : le développement des céréales (riz dans I'IMBO, froment en altitude), du palmier à huile sur les bords du Tanganyika, de la canne à sucre dans le KUMOSO (au Sud-Est), du thé villageois sur les montagnes du Centre-Ouest ; régénération du capital caféier au Nord, rentabilisation de l'élevage bovin dans le Sud ; encouragement généralisé des fruits et légumes, de la sélection semencière et de la lutte antiérosive (reboisement). Une autre action de développement rural consistait dans la promotion des coopératives et du regroupement en villages.

Un développement rural bien coordonné

Afin de mieux gérer, sur le terrain, l'action des différents services responsables, des Sociétés régionales de développement (SRD) ont été mises en place, spécialement, depuis 1979. nombre de neuf : IMBO, RUMONGE, GIHOFI, KIRIMIRO, BUYENZI, MUGAMBA, BWERU, KIRUNDO, MAKAAMBA-MABANDA. Seule celle d'IMBO, qui régissait les riziculteurs de la plaine de la RUSIZI, trouva sa vitesse de croisière (près de 5 O00 tonnes en 1980).

Une politique industrielle basée sur des entreprises publiques  

Il a été créé plusieurs entreprises publiques dans divers domaines. A tel point qu`en 1991, il y avait environ 110 entreprises publiques, dont plus des deux-tiers étaient créés durant la deuxième République.

Des reformes sociales qui tirent les plus pauvres du gouffre de misère

L`une des mesures-phares, fut l`abolition du system de servage, « Ubugererwa », consistant à ce que les terres appartenaient à des chefs coutumiers, qui les prêtaient aux populations sans terre, certains travaux pour les chefs. Désormais, ces terres appartiendraient aux paysans qui les exploitaient. C`est une mesure qui fut grandement appréciée par les bénéficiaires, mais également, par la communauté internationale. Cette mesure fut accompagnée d'une réforme agricole et d'une augmentation des prix au producteur de café.

Cet élan envers la population rurale se traduit par une croissance économique soutenue, en particulier, la production agricole qui assure la sécurité alimentaire pour tous. Le Produit Intérieur Brut par habitant tripla en 10 ans passant de 457$ à 1.234$ entre 1976 et 1986 (aux prix courants). Le régime BAGAZA adopta la politique de « tolérance zéro » en matière de corruption. Les fonctionnaires de l'État, à commencer par les membres de son gouvernement, doivent être des modèles de bonne gestion des ressources publiques.

La «décennie Bagaza »: Une période de rare accalmie au Burundi

L’histoire du Burundi est marquée par des violences meurtrières cycliques. :Les plus  meurtrières sont celles de 1961, 1965, 1969, 1972, 1988, 1993, etc. La décennie du pouvoir de Jean Baptiste Bagaza est la plus calme et paisible que le pays aura connue depuis son indépendance. Une réalisation exceptionnelle qui témoigne de sa détermination à unifier et à guérir une nation dévastée par les tueries interethniques!

Comparé à d’autres régimes, il existe désormais un consensus dans tous les groupes sociaux et tous les horizons politiques sur le fait que « la décennie Bagaza », sans être parfaite, a été exceptionnellement paisible. Feu Président Pierre Nkurunziza avait un jour dit de Bagaza, lors d'un discours publique que «De tous mes prédécesseurs envers lesquels je suis respectueux pour avoir développé notre pays, celui-là, le sage Bagaza, vient en tête. Applaudissez-le. Beaucoup de routes, d’hôpitaux, d’établissements scolaires, et de nombreuses autres infrastructures ont été construites sous le président Bagaza. Que Dieu le bénisse»

Basculement vers l`autoritarisme

Nonobstant les résultats économiques extraordinaires, la IIème République bascula vite vers un système autocratique. Très vite, les libertés d'expression et de culte disparurent, les arrestations arbitraires et des pratiques d'exclusion sur base ethnique, régionale et clanique se multiplièrent. La seconde moitié des années 1980 fut une période d'accumulation de frustrations, ce qui favorisa notamment l'émergence et la consolidation des mouvements d'opposition clandestins.

Le lieutenant-colonel Jean-Baptiste BAGAZA, se fixa immédiatement comme objectif primordial le dépassement des antagonismes ethniques stériles, à la fois par le refus de tout apartheid et par une de repérage des problèmes sociaux concrets. La question rurale, exigence sociale par nature, recherché, pour lui, un impératif de construction nationale du nouveau régime. Jusqu'à son départ du pouvoir, le Président BAGAZA ne ​​voulut jamais aborder la question de la cohabitation ethnique. Il considérait que les antagonismes ethniques étaient la fabrication des élites pour accéder au pouvoir, mais qu'au niveau des populations rurales, les préoccupations majeures résidaient dans l'autosuffisance alimentaire, l'éducation et la santé. Chacun pouvait interpréter la question comme il l`entendait. En réalité, comme beaucoup d`observateurs le constataient, il n`existe aucun problème entre les Hutu et les Tutsi. D`une part, la population rurale, extrêmement pauvre, partage les mêmes conditions de vie difficiles sur les collines et villages et son seul souhait, c`est la paix et la stabilité.

Le redressement et les espoirs qu'avait le nouveau régime pendant plusieurs années devaient connaître leur point d'orgue international. Le Président BAGAZA commença à prendre des mesures impopulaires, notamment envers l'Église catholique, qu'il accusait de mener des activités de déstabilisation de son régime. Cette impopularité s`amplifia auprès des milieux ecclésiastiques et du Vatican. Les médias internationaux ne cessèrent dès lors de parler de la persécution de l'Eglise au Burundi, présenté comme le signe tangible de l'échec politique et sociale de la IIème République. Le dérapage anticlérical et policier du gouvernement de BAGAZA avait fini par mécontenter aussi bien les élites attachées à l'exercice de leur foi (dans ce pays aux trois-quarts christianisé) que les masses rurales sensibles aux activités caritatives des missions, notamment sur les plans médical et éducatif.

Conclusion

Tout le monde reconnait, aujourd'hui, que Jean Baptiste BAGAZA aura été l'artisan de la reconstruction économique du Burundi, après plusieurs années, de traumatismes, de frustration et de mauvaise gestion des ressources nationales. L`on peut, néanmoins ethnique, déplorer son autoritarisme et son refus de discuter de la question dans la gestion du pouvoir. Nonobstant ces lacunes au niveau politique, les populations burundaises ont beaucoup apprécié son engagement envers la satisfaction des besoins essentiels, l`autosuffisance alimentaire, la mise à disposition des infrastructures de base, bref, l`indépendance économique. En tous cas, ce ne sont pas les populations rurales qui se sont plaints du régime de BAGAZA, surtout pas les populations de la commune de MWUMBA, avec lesquelles le Président avait tissé des liens particuliers.

Chacun pourra obtenir les résultats obtenus durant la deuxième République, l`angle où il se trouve.

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Andre Nikwigize

Ancien Conseiller Economique Principal auprès du Secrétariat Général des Nations Unies à New York. Auparavant, il a exercé les mêmes fonctions auprès de la Commission Economique des Nations Unies pour l`Afrique (CEA). Economiste de formation, Monsieur Nikwigize a occupé respectivement des postes de Chef en charge des Questions Macroéconomiques à la Présidence de la République, Directeur de la Planification Economique et Directeur Général du Plan auprès du Premier Ministre entre 1982 et 1991