Pourquoi certains pays africains se développent-ils pendant que d'autres stagnent?
La gouvernance et la politique économique y sont pour beaucoup. Avoir des politiques économiques cohérentes ne suffit pas, il faut une bonne gouvernance. La première leçon, sur l'importance d'avoir simplement un État qui fonctionne, vient du Rwanda et du Burundi. Les deux sont de petits pays, enclavés et densément peuplés. Depuis l'indépendance, les deux pays ont connu des génocides et violences sociales graves.
De nombreux Africains se plaignent à juste titre que des étrangers, surtout des occidentaux regroupent négligemment les 54 pays africains sous un seul label en les prenant pour un lot homogène qui vivent dans les mêmes conditions. De telles généralisations ne sont pas seulement paresseuses mais aussi obscurcissent plus qu'elles ne clarifient.
Selon Nic Cheeseman, un expert des démocraties africaines, la tendance la plus probable au cours des prochaines décennies en Afrique sera une nette divergence entre la vie politique et économique des différents pays africains. Certains continueront sur leur chemin de développement et deviendront plus riches et plus démocratiques alors que d'autres resteront pauvres et s'enfonceront plus dans l'autoritaire et deviendront de plus en plus antidémocratiques.
Cela peut sembler évident, mais de nombreux commentateurs de gauche épousent l'image d'une Afrique qui est pauvre parce que ses anciennes puissances coloniales veulent que cela reste ainsi, et non à cause des choix que font ses dirigeants. Par contre, de nombreux de droite (les conservateurs), affirment catégoriquement que la corruption ou la mauvaise gouvernance sont à blâmer, sans tenir compte des obstacles auxquels de nombreux pays africains sont confrontés. Pourtant, c'est en examinant en détail comment des pays par ailleurs similaires ont emprunté des voies différentes que des leçons peuvent être tirées.
Il faut absolument avoir un État qui fonctionne
La première leçon, sur l'importance d'avoir simplement un État qui fonctionne, vient du Rwanda et du Burundi. Les deux sont de petits pays, enclavés et densément peuplés. Depuis l'indépendance, les deux ont connu des génocides contre leurs minorités tutsies suivies par des répressions graves contre leurs majorités hutues.
Au début des années 90, le Burundi était presque deux fois plus riche que le Rwanda. Pourtant, depuis lors, les revenus au Rwanda ont augmenté plus de trois fois (ajustés en fonction du pouvoir d'achat). Ceux du Burundi sont tombés. Une grande différence entre les deux est la gouvernance. Bien qu'aucun des deux pays ne soit démocratique, le Rwanda a un gouvernement qui fonctionne et une faible corruption. La Fondation Mo Ibrahim, qui promeut la démocratie, classe le Rwanda au huitième rang en Afrique dans son indice de gouvernance, qui examine divers indicateurs, notamment l'état de droit, les infrastructures et l'assainissement. Le Burundi arrive en 43eme position.
La seconde leçon est que les politiques économiques sont importantes. Lorsque le Kenya et la Tanzanie ont accédé à l'indépendance au début des années 60, ils avaient des économies similaires, dépendant de l'agriculture, et des revenus par habitant presque identiques. Les deux ont initialement supprimé la démocratie pour diriger des États autoritaires à parti unique. Mais ils ont choisi des modèles économiques très différents. La Tanzanie a nationalisé les grandes entreprises et contraint les gens à s'installer dans des fermes collectives au nom du «socialisme africain» connu sous le nom local d'Ujama. Le Kenya a adopté une politique économique libérale. Aujourd'hui, les Kenyans sont 14% plus riches, sin on fait un ajustement en fonction du pouvoir d'achat (ou 80% plus riches par les taux de change du marché).
Le Zimbabwe et le Botswana renforcent davantage cette leçon. Au début des années 80, le Zimbabwe était plus riche que le Botswana avant que Robert Mugabe ne détruise son économie en imprimant des billets de banque et en chassant les blancs des fermes pour les distribuer à ses copains. Le Botswana est maintenant sept fois plus riche.
L’exemple peut-être le plus frappant de la manière dont les pays dotés de bonnes politiques et d’institutions solides peuvent entrer dans un cycle vertueux de développement - et de la manière dont ceux qui ne le sont pas peuvent rester coincés dans des cycles de pauvreté et de conflit - est l'ile Maurice, l’économie la plus prospère d’Afrique. En 1961, James Meade, lauréat du prix Nobel d'économie, déclara sans détour que «les perspectives de développement pacifique sont médiocres». L'île Maurice était petite, éloignée de ses partenaires commerciaux et dépendante des exportations de sucre. Pourtant, depuis l’indépendance, le revenu par personne à l'île Maurice a augmenté environ six fois après l’inflation, ce qui en fait le deuxième pays le plus riche d’Afrique par personne. Son succès a suscité l'intérêt d'économistes de renom. Jeffrey Sachs et Andrew Warner ont décidé que l'île Maurice avait bien réussi parce que son économie était ouverte. Paul Romer, un autre lauréat du prix Nobel, a attribué son succès aux investissements étrangers dans ses zones franches d'exportation.
Avoir des politiques économiques cohérentes ne suffit pas, il faut une bonne gouvernance
Cependant, avoir des politiques économiques cohérentes ne suffit pas. Plusieurs autres pays africains ont également tenté de stimuler l'industrie manufacturière en attirant des investisseurs étrangers dans les zones franches d'exportation. Seuls quelques-uns, dont l’Éthiopie, le Lesotho et l’Afrique du Sud, ont réussi. Arvind Subramanian et Devesh Roy, deux économistes qui se sont également penchés sur l'ile Maurice, ont conclu que ses politiques commerciales et d'investissement ne représentaient qu'une partie de son succès. Un autre ingrédient important était la force de ses institutions. Depuis l'indépendance, ses élections ont été pacifiques, son gouvernement a suivi la loi, ses tribunaux ont été honnêtes et la corruption a été assez faible. Il vient régulièrement en tête de l'indice de gouvernance Mo Ibrahim.
L'île Maurice est d'autant plus frappante lorsqu'elle est confrontée à son plus grand voisin, Madagascar, qui semblait beaucoup plus susceptible de réussir en raison de ses ressources naturelles plus riches et de sa population plus importante. Dans les années 1970, alors que Maurice commençait à attirer les investisseurs étrangers, Madagascar pensait que c'était une bonne idée de les renvoyer de son territoire. Le pays a expulsé l'ambassadeur américain et nationalisé deux compagnies pétrolières américaines. Alors que l'île Maurice aidait à trouver des marchés d'exportation pour ses producteurs de sucre, Madagascar a commencé à s'emparer des terres de ses agriculteurs commerciaux. C'est l'un des rares pays au monde à s'être appauvri au cours des 50 dernières années, à cause de politiques socialistes désastreuses et de crises politiques répétées.
À plus long terme, les grandes tendances qui s'installent sur le continent africain donnent espoir
La leçon la plus importante - et celle qui offre le plus d'espoir - est que bon nombre de ces tendances se renforcent mutuellement. Les pays dotés de bureaucraties plus compétentes et de démocraties plus ouvertes ont tendance à faire mieux économiquement et à investir davantage dans l'éducation. Des économies plus fortes et une meilleure scolarisation, à leur tour, contribuent à ralentir la croissance démographique et à améliorer les taux de dépendance. Tous les pays ne sont pas dans ce cercle vertueux. Mais pour ceux qui y sont, les différences sont frappantes. Les femmes kényanes, par exemple, ne sont pas seulement beaucoup plus riches que leurs cousines de la Tanzanie, elles ont également chacune 1,4 enfants de moins. Les Rwandais ne sont pas seulement mieux lotis que ceux du Burundi, leur taux d’alphabétisation est également supérieur de cinq points.
De nombreuses régions d'Afrique sont encore profondément troublées. L’économie du Nigéria ne croît pas assez rapidement pour suivre le rythme de sa population en raison d’une gouvernance inepte. L'Afrique du Sud, la puissance économique, est un retardataire qui peut à peine garder ses lumières allumées à cause de la corruption et de la mauvaise gestion. Le Sahel est plongé dans des cycles de violence, de fécondité élevée et d'analphabétisme qui mettront des décennies à se rompre. La Covid-19 représente un risque énorme pour les peuples du continent du fait qu'elle va perturber ses économies déjà faibles. Mais, à plus long terme, les grandes tendances s'imposent: l'urbanisation rapide; augmentation des migrations et des envois de fonds des diasporas; une part croissante d'enfants scolarisés; les centaines de milliers d'étudiants dans les universités à l'étranger sont des raisons qui donnent espoir. Avec un vent juste, ces forces puissantes promettent d'apporter plus de démocratie et de richesse à des centaines de millions de personnes en Afrique.