La Guerre Silencieuse de l'Or : Comment la Stratégie de Raffinage du Rwanda Redéfinit l’Hégémonie Belge sur les Ressources Africaines

Par Emery P. Igiraneza | Analyse – Burundidaily.net , mars, 28, 2025 | Le Rwanda, sous l’impulsion d’une stratégie résolument souverainiste et industrialisante, s’est doté d’infrastructures de pointe capables d’assurer localement le raffinage de l’or et d’autres minerais critiques. Pour la Belgique, ce repositionnement constitue un séisme économique et une menace pour son rôle de courroie de transmission du commerce africain des métaux précieux.

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29.3.2025
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Diplomatie

Une reconfiguration géopolitique d’une portée stratégique majeure s’opère discrètement au cœur de l’Afrique centrale. Loin des fracas de la guerre ou des joutes électorales, cette mutation trouve son épicentre dans un affrontement feutré mais déterminant, où l’arène n’est autre que le marché aurifère africain. Si les tensions diplomatiques récentes entre le Rwanda et la Belgique ont été hâtivement imputées à la crise sécuritaire persistante en République Démocratique du Congo (RDC), c’est en réalité une lutte pour la maîtrise des chaînes de valeur et du raffinage des minerais précieux qui cristallise les antagonismes.

Une richesse régionale longtemps sous-estimée

La doxa internationale a, durant des décennies, conféré à la RDC le statut de parangon de l’opulence minérale africaine. Si cette réputation n’est pas usurpée, elle occulte néanmoins une vérité géoéconomique plus vaste : la région des Grands Lacs — englobant le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi, la Tanzanie, la Zambie et le Kenya — regorge également de ressources minières d’importance stratégique.

Cependant, ces économies extractives, bien qu’actives, ont historiquement été cantonnées à un rôle subalterne dans la chaîne de valeur mondiale, tributaires d’infrastructures de transformation exogènes, au premier rang desquelles la Belgique. Anvers, métropole portuaire sans gisements propres, s’est imposée comme plaque tournante du commerce mondial de l’or et du diamant, grâce à un héritage colonial, à un réseau d’homologation bien établi, et à un savoir-faire raffiné dans le traitement des métaux précieux.

Le virage souverain du Rwanda

Cette dépendance structurelle est aujourd’hui remise en question. Le Rwanda, sous l’impulsion d’une stratégie résolument souverainiste et industrialisante, s’est doté d’infrastructures de pointe, telles que Rwanda Mining and Refinery Ltd (RMRL) ou Aldango, capables d’assurer localement le raffinage de l’or et d’autres minerais critiques.

Cette réorientation a eu un effet domino dans la région. Des flux auparavant orientés vers l’Europe sont désormais redirigés vers Kigali. Des exportateurs du Burundi, de l’est de la RDC, de la Tanzanie et de l’Ouganda privilégient aujourd’hui le raffinage intra-africain. Le Rwanda a vu ses recettes minières passer de 373 millions USD en 2017 à 1,1 milliard USD en 2022, avec une projection de 1,3 milliard USD pour l’exercice 2024/25. L’or, en particulier, a généré 885 millions USD en 2023, propulsant le pays au 64ᵉ rang mondial des exportateurs de ce métal précieux.

L’enjeu est clair : le Rwanda ne se contente plus d’exporter des matières premières, il en exporte désormais la valeur ajoutée.

Le réveil inquiet de la Belgique

Pour la Belgique, ce repositionnement constitue un séisme économique. Dépourvue de mines, sa prospérité dans le domaine repose sur son rôle de courroie de transmission du commerce africain des métaux précieux. Ses réserves d’or étaient évaluées à 20,9 milliards USD en février 2025 ; ses transactions aurifères ont connu une hausse de 47 % au premier trimestre 2024, à mesure que le cours de l’once dépassait les 2 200 USD.

Le raffinage, la certification, la fixation des prix — autant de leviers de puissance économique que la montée en puissance de Kigali vient éroder.

Diplomatie d’influence et manœuvres de contrepoids

La réponse de Bruxelles ne s’est pas fait attendre. Sous couvert de coopération sécuritaire, des émissaires belges ont effectué des visites discrètes à Kinshasa et Bujumbura, renouant avec des alliances anciennes dans une tentative apparente de contenir l’élan rwandais.

Le discours public invoque la menace du M23, mais en filigrane se dessine une manœuvre classique : raviver les tensions régionales pour maintenir un avantage économique. Les mécanismes de division hérités de la colonisation — ethniques, politiques, commerciaux — semblent être subtilement réactivés, rééditant le vieux paradigme du diviser pour mieux régner.

Vers une recomposition du rapport Afrique–Europe

Mais l’Afrique de 2025 n’est plus celle du XXᵉ siècle. Des États comme la Tanzanie, l’Ouganda ou la Zambie s’émancipent peu à peu des logiques néocoloniales, investissent dans la transformation locale, et redéfinissent leurs partenariats internationaux. Le paradigme du « tout à l’export brut » est en déclin.

Un haut responsable tanzanien résume cette évolution en ces termes : « Ce moment est décisif. Pourquoi nos ressources, extraites ici, seraient-elles toujours valorisées, certifiées et fiscalisées ailleurs ?»

Un fonctionnaire européen, quant à lui, confie sous anonymat : « Ce pourrait bien être la fin de la RDC en tant que colonie de marché de la Belgique. En vérité, Léopold n’est jamais vraiment parti.»

Une bataille pour la souveraineté économique

Ce conflit larvé entre Kigali et Bruxelles transcende les frontières de l’or. Il cristallise une lutte plus profonde pour la souveraineté économique, la maîtrise de la chaîne de valeur, et la redéfinition du rôle de l’Afrique dans l’économie mondiale.

Les questions fondamentales sont posées :

L’Afrique peut-elle transformer ses ressources sur place, à grande échelle ?

Résistera-t-elle aux pressions des anciennes puissances coloniales ?

Et surtout, pourra-t-elle monnayer son avenir selon ses propres termes ?

Le Rwanda a déjà tracé sa voie. D’autres pourraient suivre.
Les prochaines pages de cette reconfiguration géoéconomique s’écriront à Kigali, Kinshasa, Bujumbura, et sans doute aussi à Anvers.

Dans ces lignes se dessine peut-être le futur d’une Afrique qui ne se contente plus d’être un réservoir de richesses, mais qui aspire à en devenir l’architecte et le maître.

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Emery Igiraneza

Emery Pacifique Igiraneza est un spécialiste des relations internationales, de la mondialisation et de l'administration des affaires. Fort d'une vaste expérience au sein d'organisations internationales et du secteur public au Royaume-Uni et à l'étranger, il est actuellement président du mouvement politique burundais, MAP Burundi Buhire. Emery est titulaire de deux maîtrises—l'une en relations internationales et mondialisation de l'Université de Salford, et un MBA de la Greater Manchester Business School (Université de Bolton)—ainsi qu'un certificat professionnel en leadership de l'Université de Cambridge.