AIDS-FREE WORLD: Le président burundais doit enquêter sur les abus sexuels commis par des soldats burundais en missions de maintien de la paix
Cela reste un fait étonnant et largement méconnu: les Nations Unies paient au gouvernement du Burundi le privilège d'utiliser des soldats burundais déployés en missions de la paix de l'ONU en République centrafricaine (RCA). Ces soldats font partie d'une force qui a été accusée par l'ONU elle-même de commettre des crimes contre l'humanité.
Recemment, l'organe de l'ONU qui a porté l'accusation - la Commission d'enquête des Nations Unies (COI) sur le Burundi - a publié son nouveau rapport, alléguant que la conduite des forces gouvernementales burundaises ne s'est pas améliorée. Le rapport indique que sa «liste des auteurs présumés de crimes contre l'humanité» comprend des personnes qui «occupent des postes de responsabilité dans le nouveau gouvernement et ont été promues au sein des forces de défense et de sécurité depuis que le nouveau président, M. Ndayishimiye, a pris ses fonctions».
Le rapport arrive à un moment charnière de l’histoire du Burundi. Le 8 juin, le despote notoire du pays, le président Pierre Nkurunziza, est mort de ce que son gouvernement prétendait être une insuffisance cardiaque, mais de nombreux observateurs confirment en fait que la cause de sa mort est la COVID-19. Dix jours plus tard, Évariste Ndayishimiye, un haut cadre du parti au pouvoir et haut fonctionnaire du gouvernement de Nkurunziza qui venait de remporter une élection contestée, a été nommé président deux mois plus tôt que prévu. Le président Ndayishimiye s'est depuis engagé à «entreprendre une réforme globale». Une promesse qui semblent séduire les cœurs dans certains coins de la communauté internationale.
Mercredi, 23 septembre, la COI a comparu devant le Conseil des droits de l'homme à Genève. La question de savoir si le COI doit continuer à enquêter sur les conditions au Burundi a été un sujet de débat. Une lettre signée par 43 organisations de défense des droits de l’homme et de la société civile demandant le renouvellement du mandat de la COI présente des arguments cruciaux. «L'évolution des réalités politiques n'équivaut pas à un changement systémique des droits de l'homme, et le Conseil a la responsabilité de continuer à soutenir les victimes et les survivants de violations et à œuvrer pour améliorer la situation au Burundi», indique la lettre.
Le mandat de la COI ne doit pas prendre fin tant que le président Ndayishimiye n’a pas pu montrer au monde qu’il est un autre type de dirigeant que l’odieux Nkurunziza. Le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, doit lui demander d'ordonner l'enquête et la poursuite, si nécessaire, des soldats burundais servant dans les opérations de maintien de la paix de l'ONU qui ont été accusés de crimes sexuels.
Depuis 2015, l'ONU a déterminé que les rapports de viol ou d'agression sexuelle contre 43 soldats de la paix du Burundi ont atteint le seuil de crédibilité pour être inclus dans la base de données de l'organisation sur la conduite dans les missions sur le terrain des Nations Unies. Les victimes présumées comprennent 49 enfants, 27 adultes et cinq personnes d'âge inconnu.
Une fois que l’ONU ait déterminé qu’une allégation contre un soldat en mission de la paix militaire est crédible, elle renvoie la question à l’État qui a envoyé le soldat, qui est responsable de l’enquête et des poursuites. Aucun des 43 casques bleus burundais figurant dans la base de données des Nations Unies n'a fait l'objet de sanctions pénales.
Cette inaction du régime burundais n’est pas étonnante. Selon un rapport d'évaluation interne de l'ONU sur la mauvaise gestion d'une enquête sur des dizaines d'allégations d'abus sexuels déposées à Dekoa, en République centrafricaine, les enquêteurs nationaux burundais (NIO) - qui sont chargés d'examiner les accusations portées contre des soldats de la paix burundais ne sont compétents en la matière. Les investigateurs burundais ont cherché à déceler les «infimes incohérences» dans les déclarations des témoins, plus intéressés à «discréditer les témoins qu'à recueillir leurs témoignages», selon le rapport. Des témoins «qui n’étaient pas concernés par l’allégation ont été interrogés pour« encadrer »la victime signalée, tandis que les témoins pertinents à l’affaire signalée n’ont pas été écoutés par l’équipe d'enqueteurs.»
En outre, la Commission d’enquête sur le Burundi a montré de manière concluante que les forces gouvernementales burundaises sont autorisées à commettre des violences sexuelles en toute impunité à l’intérieur des frontières du Burundi. Après une saisine des avocats burundais, un panel de trois juges de la Cour pénale internationale (CPI) a par la suite trouvé «des motifs raisonnables de croire que le crime de viol en tant que crime contre l'humanité» avait été commis par les forces du régime «contre des femmes et des filles perçues comme être associé ou sympathiser avec l'opposition contre le parti au pouvoir. »
La COI, selon son rapport, «s'inquiète de la nature structurelle des violences sexuelles au Burundi, car les témoignages recueillis depuis 2015 démontrent que ce type de violence persiste et confirment les tendances identifiées dans ses précédents rapports».
Par ces faits, il devrait être évident que les troupes burundaises ne devraient pas faire partie du processus de maintien de la paix de l'ONU. Comme nous le dit Lambert Nigarura, président de la Coalition burundaise pour la CPI, «Il est incompréhensible que, tout comme une commission créée par les Nations Unies confirme que des crimes graves ont été perpétrés par les troupes burundaises, cette même organisation (ONU) utilise et paie les mêmes troupes pour servir comme soldats de la paix! »
Le nouveau rapport COI appelle le Secrétaire général Guterres à veiller à ce "qu'aucun auteur présumé de violations des droits de l'homme ou de crimes internationaux au Burundi ne soit recruté pour les missions de maintien de la paix des Nations Unies".
Dans ce cas de manque d'enquêtes crédibles et manque de punitions contre ces auteurs des crimes sexuels, l'auteur présumé des violations des droits de l'homme et des crimes internationaux au Burundi est le gouvernement du Burundi.
Le Burundi reste un membre influent dans le domaine de maintien de la paix de l'ONU, avec 742 contingents actuellement basés en République centrafricaine. En tant que tel, le gouvernement a une obligation contractuelle d'enquêter et de poursuivre les crimes sexuels commis par ses soldats. Le défunt président du Burundi - Pierre Nkurunziza- a ignoré les obligations de son pays d'enqueter les exactions commises par ses soldats en missions de maintien de la paix. Evariste Ndayishimiye, le nouveau président fera-t-il de même?
Nous ne détectons aucun signe que le président Ndayishimiye ait l'intention de répondre aux allégations de violence sexuelle déposées contre des soldats burundais en RCA. Tant qu'il ne le fera pas, la communauté internationale ne devrait lui accorder aucun bénéfice du doute, et ne devrait pas lui conférer aucun honneur et ni conclure aucun contrat avec lui.