6 juin 1903 : Le traité de KIGANDA, une journée doublement symbolique pour les Burundais

Malgré leur résistance, les Barundi ont été vaincus. Après des combats meurtriers, la perte de nombreux soldats du Roi, et les rébellions de MACONCO et KILIMA, qui s`étaient associés aux envahisseurs allemands, l`armée des Badasigana n`en pouvait plus. Le véritable artisan de cette dernière phase de la bataille fut le capitaine Von BERING. La résidence du Roi fut encerclée et les Allemands étaient décidés à finir avec le Mwami.

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Andre Nikwigize
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6.6.2021
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Reflexion

Par André Nikwigize

6 juin 1903 – 6 juin 2021 : Cela fait exactement 118 ans, jour pour jour, que le fameux « Traité de Kiganda » entre le Roi du Burundi, Mwezi IV GISABO, et les Allemands, consacrant la soumission du Roi et la perte de la souveraineté de la monarchie. Après une héroïque résistance des forces royales, les « Badasigana », contre l’installation des Allemands, avec des armes sommaires, le Mwami Mwezi GISABO dut capituler, sous la pression de Von BERING, et signa le Traité de Kiganda.

Ce Traité signifie pour tous les Burundais deux symboles : premier, c`est un Traité qui marqua l`humiliation d`un Etat-Nation et d`un Peuple souverain. Deuxièmement, ce traité de l'humiliation a révélé qu'au Burundi, il existait des hommes et des femmes qui aimaient leur patrie, et qui prêtaient à la défendre, jusqu'au sacrifice suprême. La Nation Burundaise est un trésor à protéger.

La Résistance et l'Occupation

Tout commence avec la fameuse « Conférence de Berlin », tenue, à Berlin, du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, au cours de laquelle les grandes puissances coloniales se partagèrent l'Afrique, tout en dictant les règles officielles de la colonisation. La Conférence délimita l'Afrique orientale allemande, appelée "Deutsch Ost Afrika", qui couvre également les territoires de l`Urundi.

En 1896, malgré les hésitations, les Allemands décidèrent d'occuper les terrains attribués, avec l'espoir d'occuper le royaume du Burundi immédiatement. Mais, la tâche ne fut pas aisée. D`abord, ils s`établirent sur la côte du lac Tanganyika, précisément à Kajaga. Mais suite à l’insalubrité du milieu infesté de beaucoup de moustiques, ils quittèrent l’emplacement initial de Kajaga pour s’établir à Uzige (Bujumbura actuel). A partir de ce moment, les allemands durent se heurter à une résistance réelle. Contrairement à ce qu'avaient fait les souverains des autres royaumes, en acceptant facilement l'installation des étrangers sur leurs territoires, Mwezi GISABO, avec son armée des Badasigana, soutint vaillamment son peuple dans une lutte héroïque contre l'installation allemande. De là, les Allemands tentèrent de pénétrer à l'intérieur du pays. Des caravanes allemandes ont été souvent attaquées par les guerriers de Mwezi GISABO. Par exemple, les forces royales attaquèrent, notamment, une caravane allemande qui se rendait à la mission catholique de Mugera.

Quelle stratégie utilisée ? Les Badasigana de Mwezi GISABO, qui n`avaient, pour armes, que des arcs et des flèches, surprenaient l`ennemi, armé de fusils, soit, pendant que ce dernier chargeait les fusils, soit dans les moments où l`ennemi regarde avoir neutralisé l`armée de Mwezi et se reposait.

Cette résistance dure six longues et douloureuses années. Les Allemands étaient sur le point de capituler. C`est à ce moment que quelques ennemis du Roi conseillèrent aux Allemands de s`allier les services de deux rebelles, MACONCO, gendre du roi et KIRIMA, demi-frère du roi, les deux étant en dissidence contre le Roi Mwezi, pour des raisons diverses. Ces deux chefs rebelles ont été appuyés avec 400 hommes et des armes. A la suite de l'attaque de la caravane allemande, et avec l'aide des deux rebelles, les Allemands décidèrent d'intensifier la répression en effectuant une expédition punitive contre le Mwami. Les Allemands brûlèrent ainsi les enclos royaux de Muramvya.

Malgré leur résistance, les Barundi ont été vaincus. Après des combats meurtriers, la perte de nombreux soldats du Roi, et les rébellions de MACONCO et KILIMA, qui s`étaient associés aux envahisseurs allemands, l`armée des Badasigana n`en pouvait plus. Le véritable artisan de cette dernière phase de la bataille fut le capitaine Von BERING. La résidence du Roi fut encerclée et les Allemands étaient décidés à finir avec le Mwami.

Stratégies de réplique

Après six ans de guerre, les Badasigana étaient épuisés. C`est alors que les conseillers à la cour et les notables conseillèrent au roi de quitter le palais. Mais, il était impossible de passer inaperçu. Tous ses costumes étaient connus. A cela, il faut ajouter la surveillance continue que les hommes de KIRIMA et MACONCO. C`est alors que l'un des courtisans, un certain « BIHOME » lui proposa de lui prêter ses habits pour se déguiser, et d`enfiler ceux du roi. En sortant du palais BIHOME a reçu les tirs destinés au roi et rendit l'âme sur le champ. BIHOME se donna en sacrifice, et le Roi et les institutions monarchiques sont venus d`être sauvés. La joie des Allemands ne tarda pas à se muer en colère, puisque le lendemain, le peuple plongé dans un océan de deuil entendit retenir le tambour RUKINZO, tambour qui retenait chaque matin à la cour pour annoncer le réveil du roi. C'était en octobre 1902. Après, vérification, les Allemands réalisèrent qu'ils s'étaient trompés de cible car, ils croyaient avoir tué le roi. Ils crurent alors que ce roi avait des pouvoirs mystiques, et qu'il était nécessaire de négocier avec lui, plutôt que de chercher à le tuer.

Le Roi Mwezi GISABO se réfugia dans le Sud du pays. Il resta introuvable jusqu'en 1903. Les Allemands envoyèrent plusieurs émissaires auprès du roi Mwezi GISABO pour qu'il sorte de sa cachette et signe l'accord de paix avec les Allemands, mais sous conditions. Les Pères Blancs de la mission de MUGERA, ainsi que les notables et certains de ses fils, NTARUGERA et RUGEMA, lui conseillèrent de négocier avec les Allemands, et de continuer à diriger le royaume et rentrer dans son palais. C`est dans ce contexte que le Roi, contre son gré, accepta de négocier et signer, le 6 juin 1903, à Kiganda, d`où l`appellation de « Traité de Kiganda ».

Les Sanctions imposées au Roi

Pour avoir résisté à la pénétration des Allemands au Burundi, le Roi Mwezi GISABO a dû subir des sanctions. Les principales clauses étaient politiques et économiques :

• Les clauses politiques :

1. Mwezi GISABO acceptait la souveraineté de l'Allemagne. Un drapeau allemand et une lettre de protection lui ont été remis ;

2. KIRIMA et MACONCO ont reçu une gouvernance indépendante du Roi. Il fut confié à KIRIMA l`administration de la région de Bukeye, et MACONCO celle de Muramvya. Ces derniers allaient désormais dépendre administrativement d'Usumbura, c'est à dire des Allemands, et les terres qui arrivaient à être définies à eux allaient être délimitées ;

3. Mwezi était Mwami du pays, mais les Chefs n`obéiraient désormais qu`à la station allemande d`Usumbura.

4. Un poste d'"Askaris" (Africains qui combattaient aux côtés des militaires allemands), dirigé par un allemand, lui fut ouvert pour sa protection.

• Les clauses économiques :

1. En guise de réparations des actes d'insoumission, il fut exigé à Mwezi GISABO de verser une amende de 424 têtes de bétail ;

2. Le Roi s'engageait à ne plus perturber l'action « civilisatrice » de la mission de Mugera ;

3. Il doit garantir le libre exercice du culte,

4. Il devrait faciliter la circulation des caravanes ;

5. Il devait fournir gratuitement des travailleurs pour construire la route Usumbura-Mugera.

La bataille du Royaume du Burundi fut le symbole d`une résistance patriotique, d`un peuple uni contre l`invasion étrangère.

Au même moment, en date du 1er mars 1896, se déroulait une autre bataille, par des paysans d'Ethiopie contre les colonialistes italiens, dans une petite ville du Nord d'Ethiopie, appelée « Adawa ». La bataille historique d`Adawa est devenue le symbole du Panafricanisme. Elle se termine par une victoire écrasante des Ethiopiens. Les italiens ont été obligés de rebrrousser chemin. This bataille historique d`Adawa et la victoire conséquente d`une armée de paysans contre les envahisseurs colonialistes, resonne encore aujourd`hui comme la victoire d`un pays africain contre les colonialistes. Les burundais n`ont pas eu la même chance. La journée du 1er mars est toujours commémorée en Ethiopie.

Si l'armée du Roi Mwezi GISABO était parvenue à gagner la bataille contre les Allemands, le Burundi aurait été inscrit sur la liste de quelques rares pays qui ont pu se défaire de l'impérialisme européen. Dans tous les cas, les vaillants combattants du Roi Mwezi GISABO ont démontré l`amour qu`ils avaient de leur patrie, jusqu`à sacrifier leurs vies. Comme les Ethiopiens ont immortalisé le mois de mars, comme celui du triomphe du patriotisme, les Burundais devraient-ils inscrire la date du 6 juin, non comme celle du triomphe de l`occupation allemande et de l`humiliation du peuple, mais celle de la bravoure et du patriotisme des burundais. UN REFLECHIR.

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Andre Nikwigize

Ancien Conseiller Economique Principal auprès du Secrétariat Général des Nations Unies à New York. Auparavant, il a exercé les mêmes fonctions auprès de la Commission Economique des Nations Unies pour l`Afrique (CEA). Economiste de formation, Monsieur Nikwigize a occupé respectivement des postes de Chef en charge des Questions Macroéconomiques à la Présidence de la République, Directeur de la Planification Economique et Directeur Général du Plan auprès du Premier Ministre entre 1982 et 1991