Falsification de l'histoire des tueries interethniques au Burundi: Pleins feux sur le faux narratif de la CVR dans le sud du Burundi

Un autre cas de blanchiment, invoqué dans la conférence à l'intention du haut commandement de l'armée du 29/07/2022, est celui du taureau de Mbonyingingo[i]. C'est un cas bien connu à Vugizo. La CVR a travesti ce qui s'est passé, à dessein, et dit que « A Vugizo(Makamba), un hélicoptère militaire a tiré sur des gens en train de dépecer un taureau d'un muganwa nommé Mbonyingigo Aloys ». La CVR veut nous vendre l'idée qu'il s'agit de gens paisibles entrain de dépecer un taureau qu'ils avaient légitimement acquis. La vraie histoire est autre.

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Novat NINTUNZE
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17.9.2022
Categorie:
Politique

«  ... Nintunze...  celui-là, avant que nous ne nous parlions, il disait du n'importe quoi ... »

« .. aujourd'huijourd'hui nous nous entendons mieux qu'avant que nous commencions notre travail ... ».

C'est ma traduction libre des paroles de l'Ambassadeur Pierre Claver Ndayicariye, président de la CVR-Burundi, telles que délivrées lors de sa conférence à l'Université des Grands Lacs de Bujumbura, le 17 Juin, 2022.

L'original en Kirundi :

«  ... Nintunze.. urya tutaravugana, yavuga ivyo yishakiye ... uyu munsi tuvugana neza gusumba tugitangura gukora... «

Mr. Ndayicariye faisait allusion à mon livre qu'on peut facilement trouver sur amazon.com :

« Burundi 1972 : Massacre des Tutsis dans le Sud.  Souvenirs et Témoignages ».  Ce livre a été édité par les Editions Iwacu en 2019.

Une version en anglais est aussi disponible sur amazon.com depuis 2022 :

« Burundi 1972 : Tutsi Massacres in the South and the Effluvium of Genocide".

Livre écrit par Novat Nintunze sur les massacres des Tutsi en 1972

Dans la même conférence, Mr. Ndayicariye fait référence au Professeur Jean-Pierre Chrétien et à Mr. Jean-François Dupaquier dans des termes pour le moins inattendus.  Nous apprenons notamment que Mr. Dupaquier est marié à une Rwandaise de Mishiha que lui, Ndayicariye, connait très bien.

D'emblée il faut reconnaître que Mr. Ndayicarishe a le don d'être un orateur exceptionnel : je suis de ceux qui admirent la manière dont il délivre son message, que ce soit en Français ou en Kirundi, avec une précision pratiquement chirurgicale.  Les auditeurs ne peuvent pas ignorer ce qu'il a l'intention de dire.  Toute parole qu'il prononce atteint son but.

Si j'avais été dans la salle, je lui aurais dit que je n'ai pas écrit du n'importe quoi.  Dans mon livre, je décris mon enfance dans un milieu où nos voisins, Hutus et Tutsis, étaient considérés comme nos oncles, nos tantes, nos grands-parents.  Je décris le cataclysme qui s'est abattu sur nous en 1972.  Mon oncle paternel, Pierre Mushema, a été tué tout près de son enclos sur la colline Rabiro le 1er mai 1972.  Il a été enterré là-bas même 2-3 jours plus tard, par certains des individus responsables de sa mort.  Mon père, à la recherche d'un refuge, a été capturé à Kigamba (Makamba) et tué près de Kayogoro (Mabanda), et nous ne savons pas où est sa sépulture.   Mon oncle maternel, Cyprien Nankwa, a été tué sur une colline près de chez-nous, et il a été enterré là-bas même avec deux de nos voisins.  Un cousin de ma mère, Remegio Barikunkiko, avait une vache qui venait d'avoir un veau et il n'a pas pu l'abandonner ; il a été tué et enterré tout près de son enclos.  Ntamuhweza, tué avec quatre de ses fils, et enterrés tous dans une fosse commune près du bureau communal à Vugizo .  La CVR a cherché cette fosse commune, mais ne l'a pas trouvée.  Un centre de santé a été construit à son emplacement.  Un cousin de mon père, Baryamwabo a été tué avec ses cinq fils dans son enclos tout près de Mutwazi (Mabanda) : sa lignée s'est éteinte ce jours-là.  Et cetera. Et cetera. Et cetera.

Mon livre contient beaucoup de détails.  J'ai essayé d'écrire des faits qui sont vérifiables.  C'est une première édition, donc je ne pense pas qu'il est parfait.  J'ai tout de même établi une base dont la CVR et dont des chercheurs peuvent se servir.  Mon témoignage est tout sauf du n' « n'importe quoi ».

Comme le titre l'indique, c'est à propos des Tutsis, parce que les massacres des Tutsis en 1972 sont peu connus.  Dans l'introduction, je dis très clairement qu'un cataclysme s'est abattu sur nos compatriotes Hutus les semaines et les mois qui ont suivi les massacres des Tutsis. Sur cela au moins, nous nous accordons avec l'Ambassadeur Ndayicariye.  Le douleur des  uns n'exclut pas celle  des autres.  Nous avons besoin d'autres livres qui décrivent en détails ce que, Hutus, Tutsis, Ganwa, et Twa avons vécu.  A propos, dans mon livre il est peut être remarqué que les insurgés étaient à la chasse des Tutsis et des Ganwas sans distinction.  C'est ainsi que l'un des premiers tués, Nkurabagaya, était un arrière grand-fils du roi Mwezi Gisabo.

Jusqu'aujourd'hui je n'ai pas encore parlé à Mr. Ndayicariye.  Nous avons échangé des messages via Whatsapp quand il était à Vugizo avec son équipe.  Il m'a dit qu'il était entrain de lire mon livre et m'a enjoint d'encourager les gens à venir témoigner.  Mon avis était que, peut-être,  les Tutsis ne vous approchent pas à cause de la peur ?  A cause de l'omniprésence des forces répressives visiblement armées ? J'ai tout de même parlé via Whatsapp à un des commissaires de la CVR, mais sur des généralités : l'importance de la mémoire, reconnaître les héros (il y a des gens qui ont sauvé des victimes potentielles d'ethnie différente de la leur), répertorier les noms des victimes...

Ni avec Mr. Ndayicariye, ni avec son commissaire nous n'avons jamais parlé de ce sur quoi nous nous entendons, et ni de ce sur quoi nous ne nous entendons pas.  Tout de même de mon côté, entre autres choses, je pense que c'est une grande fausseté de dire que Micombero a organisé les massacres des Tutsis.  Micombero peut être accusé d'autres crimes très graves, mais pas de celui de massacrer des Tutsis de sa province d'origine, et dont apparemment des membres de sa famille élargie.  Les Tutsis du Sud, mais aussi de l'Ouest et de Cankuzo, ont été tués par des insurgés Hutus.  L'insurrection était bien organisée et coordonnée, et la CVR devrait pouvoir nous dire qui était derrière cette organisation, sans faux-fuyants.  Or jusqu'à maintenant, elle fait tout son possible pour couvrir ces criminels, dont la responsabilité ne s'arrête pas seulement sur ce qui est arrivé aux Tutsis, mais aussi aux Hutus.  Dans chacune des communes où ces criminels ont sévi, les leaders locaux sont connus, et des témoignages les ont cités.  Au niveau plus haut, des noms ont été aussi cités, mais la CVR ne semble pas y investir son attention.  Elle semble répudier par exemple le contenu de la lettre de Museveni à Nkurunziza, dans laquelle le président Ougandais reconnait avoir rencontré certains de ces leaders dans un camp d'entraînement militaire en Tanzanie. La grande question à poser est celle-ci: pourquoi la CVR n'arrive pas à pointer du doigt les vrais organisateurs de la rébellion Hutue de 1972 ?

La CVR triche et usurpe mes propos: Elle me colle des témoignages que je n'ai jamais fait

L'une des grandes excuses que l'Ambassadeur Ndayicariye et son équipe propagent est que les Tutsis ont été tués sur le littoral du Lac Tanganyika seulement.  Du moins c'est ce que rapporte leur résumé exécutif.  Pendant la conférence il nuance un peu et ajoute quelques Tutsis tués sur quelques collines de Vugizo.  C'est bien connu que les Tutsis ont été tués bien loin du littoral du lac Tanganyika, comme à Vugizo, Vyanda, Mabanda, dans Makamba, dans la commune Bururi, à Mutumba, à Cankuzo ... La CVR pour des raisons propres à elle veut diminuer l'étendue géographique des massacres des Tutsis.

L'autre point de discorde est la position de la CVR qui stipule que dans la plaine de l'Imbo, à Rumonge et ses environs, les insurgés tuaient les 'Bamanuka' Hutus et Tutsis sans distinction.  Il est certain que  des Hutus ont été tués parce qu'ils étaient  mariés aux Tutsies, comme une certaine dame tuée à l'entame  des massacres ; ou parce qu'ils auraient refusé de se joindre aux bandes meurtrières.  Pour ceux qui ne le sauraient pas, les 'Bamanuka' étaient les gens qui étaient fraîchement descendus des montagnes et des plateaux surplombant la plaine.  C'était généralement des travailleurs dans les champs des riches locaux.  D'autres étaient engagés dans le petit commerce.  Les insurgés ne visaient pas ces gens sans distinction, mais ils voulaient plutôt  exterminer les Tutsis parmi eux.

A la page 36 du Résumé Exécutif du Rapport d'Etape de la CVR 2021, j'ai été surpris d'apparaître comme un témoin (NB : je n'ai pas encore témoigné).  En effet, voici ce qui est écrit à propos d'exactions commises contre les Hutus en 1972 :

« N.T., le père de B.S., a subi un supplice inimaginable : ils lui ont coupé les organes génitaux, et les ont forcés dans la bouche de sa fille, S.V., lui disant de les manger.  Personne ne peut comprendre cette barbarie.  Tuer quelqu'un, l'amputer de ses membres est déjà au delà de la limite de ce qu'un humain peut faire.  La barbarie pratiquée sur N.T. était d'un autre degré.  Même des animaux sauvages ne font pas cela (Témoignage de Nintunze Novat) ».

Cet extrait est tiré, verbatim, de mon livre, à part que c'est à propos d'un Tutsi mutilé par des insurgés Hutus et non d'un Hutu victime des forces gouvernementales, et je citais un témoignage.  La CVR n'a fait que remplacer les noms de la victime et de sa fille par leurs initiales.  Evidemment je m'insurge contre cette substitution que l'équipe de l'Ambassadeur Ndayicariye a faite.  Il y a eu beaucoup d'exactions réelles commises contre les Hutus en 1972, je n'ai pas compris pourquoi la CVR a eu recours à une supercherie.

La CVR se livre à un blanchiment de l'histoire pour dédouaner les rebelles Hutu: Elle fait aucune référence à la République de MARTYAZO

Puisqu'il est question de Vugizo/Martyazo, je ne peux pas passer sous silence le blanchiment des insurgés Hutus, tel que fait par la CVR dans des discours et des publications.  Un cas patent est le déni des drapeaux qui ont flotté à Vugizo/Martyazo, et Mabanda par exemple.  Pourtant des témoins encore vivants, Hutus et Tutsis, ont vu ces drapeaux et en ont témoigné.

Drapeau de la République de Martyazo, une République sécessionniste proclamée par des rebelles hutu au Burundi en 1972 à Vyanda, au Sud du pays.

Un autre cas de blanchiment, invoqué dans la conférence à l'intention du haut commandement de l'armée du 29/07/2022, est celui du taureau de Mbonyingingo[i].  C'est un cas bien connu à Vugizo.  La CVR a travesti ce qui s'est passé, à dessein, et dit que « A Vugizo(Makamba), un hélicoptère militaire a tiré sur des gens en train de dépecer un taureau d'un muganwa nommé Mbonyingigo Aloys ».  La CVR veut nous vendre l'idée qu'il s'agit de gens paisibles entrain de dépecer un taureau qu'ils avaient légitimement acquis.  La vraie histoire est autre.  Les insurgés passaient les matinées à la chasse aux Tutsis.  Les après-midis, ils se rassemblaient pour se reposer et se restaurer.  Ils avaient pillé des bovins des Tutsis, qu'ils abattaient régulièrement.  Ce jour-là, c'était le tour du taureau de Mbonyingingo. C'était le vendredi de la première semaine de Mai 1972.  Les insurgés avaient occupé la commune de Vugizo pendant presqu'une semaine.  Les hommes Tutsis avaient été tués, ou étaient en fuite ou en cachette.  Mbonyingingo était de ces derniers.   Quand l'hélicoptère est apparu, ceux des insurgés qui avaient des fusils ont tiré sur lui, mais la majorité ne pouvait que brandir leurs machettes.  L'hélicoptère en a mitraillé plusieurs, et plusieurs rescapés ont fuit immédiatement vers la Tanzanie.  La foule qui était assemblée à Vugizo n'était donc pas faite de paisibles citoyens.

En parcourant le Résumé Exécutif, on remarque l'apparition d'un nouveau groupe 'ethnique' : les Bahima...en plus des Batutsis, Bahutus, Baganwa, et Batwa.  On nous dit que les Bahimas ont été refoulés dans le Mugamba et le Bututsi, alors qu'ils ont été présents à tout moment dans toutes les régions du Burundi, y compris aux cours des rois et des princes.  Je ne suis pas d'accord avec l'effort manifeste de la CVR d'ostraciser les Bahimas, et je le dirai au président de la CVR quand nous nous parlerons. L'effort de disqualification des Bahima se remarque dans beaucoup de textes et d'audios de la CVR. Ici nous assistons à la mise en œuvre de l'infâme pratique d'isoler un groupe, le marginaliser, et éventuellement en faire ce qu'on veut dans une probable indifférence totale. Ici la CVR reprend la propagande du Palipehutu, telle que reprise par le professeur René Lemarchand[ii] par exemple, telle qu'amplifiée par Burundi-agnews, et plus récemment par Frédéric une extrémiste de la cause Hutue, Nzeyimana du Canada, et par un membre de l'équipe de communication de la CVR en la personne de Kenny Claude Nduwimana.

Des hommes de bonne volonté se sont insurgés contre la propagande anti-Hima de Frédéric Nzeyimana.  Il a fallu des efforts pour que la CVR se sépare de Kenny Claude Nduwimana, mais apparemment le ver est dans le fruit.  De l'Ambassadeur Ndayicariye et de ses adjoins, nous attendons la vérité historique, pas le colportage de théories 'racistes', pas l'invention de nouveaux mythes.

Les quelques exemples cités ci-haut montrent qu'il y a probablement beaucoup de points sur lesquels l'Ambassadeur Ndayicariye et moi-même sommes en accord. Notamment qu'il y a eu des violations massives des droits de la personne au Burundi en 1972, y compris le droit à l'intégrité physique.  Les experts en la matière nous éclaireraient beaucoup plus là-dessus. Mais il y a aussi beaucoup de points sur lesquels nous sommes en désaccord.  Je présume qu'il en est de même avec beaucoup de nos compatriotes.  Je suis toutefois convaincu qu'il n'y a aucun écart qu'un engagement franc et de bonne foi ne peut surmonter.  Ça demande des efforts de tout un chacun.  L'avenir nous en dira plus.

REFERENCES:

[i] Bulletin de la Commission Vérité et Réconciliation du Burundi, N.21, Aout 2022

[ii] Dans son livre , « Burundi, Ethnic Conflict and Genocide, Wilson/Cambridge, Paperback edition , 1996 », le prof. Lemarchand se réfère aux publications du Palipehutu et assigne aux trois présidents Himas, des clans qui ne sont pas les leurs.  Il crée des relations familiales entre eux, et entre d'autres Burundais bien connus, qui ne sont pas vraies.  Cela s'ajoute à sa qualification douteuse de la place, du rôle et des motivations des Himas dans la société burundaise.  Souvent il est difficile de séparer le chercheur écrivain de l'activiste, mais le livre est important à lire. Plusieurs de ses analyses se retrouvent par exemple dans le Résumé Exécutif du Rapport d'Etape de la CVR.

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Novat NINTUNZE

Auteur de " Burundi 1972: Massacre des Tutsis dans le Sud", Novat Nintunze est très jeune lors des massacres des Tutsis dans le sud du pays en avril-mai 1972, il perd son père et plusieurs proches. Des années plus tard, il a écrit ses souvenirs et recueilli les récits des survivants de ces tueries qui ont broyé sa jeunesse. Malgré ce drame qui l’a fortement maqué, il prône la réconciliation mais sans occulter la vérité sur ce passé horrible pour ne pas le revivre.Tel est le message essentiel de son témoignage poignant et profondément humain.