Le Président burundais sème la confusion au sujet de la communauté des « Banyamulenge » en RDC

Il est évident qu'avec l'avènement des belges au Rwanda après l'échec de l'Allemagne à la première guerre mondiale comme au Congo depuis sa colonisation a été l'élément catalyseur de la haine anti-Tutsi entretenue depuis plusieurs décennies dans les pays de la région des grands lacs ayant abouti au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 avec son corollaire de la haine véhiculée aujourd'hui dans les trois anciennes colonies belges (Congo, Rwanda et Burundi) qu'il veut sciemment perpétuer.

Par
Alex Mvuka
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13.8.2022
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La Region

Fervent moralisateur devant l'Eternel, le Chef de l'Etat burundais ne rate aucune occasion pour donner une leçon d'histoire à son audience a priori conquise. Sauf que l'histoire avec grand H n'est pas peut être sa tasse de thé.

Du coup, il s'en mêle souvent les pinceaux et prend des raccourcis hyper dangereux pour un Chef d'Etat. C'est notamment ce qui lui est récemment arrivé lorsqu'il a tenté de s'accrocher à l'actualité en évoquant le cas de la communauté des Banyamulenge à l'est de la RDC.

Le Président burundais a eu une audacité de déclarer, tout de go, que la question des Banyamulenge ne « date que de 1996 » et que ces gens-là ne forment en aucun cas une ethnie étant donné qu'ils n'ont jamais eu de chef coutumier.

« Il n'y a pas une ethnie sans pouvoir coutumier. Les Banyamulenges n'ont pas un pouvoir coutumier....les persécutions de Banyamulenge ne commencent qu'en 1996 ....pas d'ethnie sans chef coutumier », a déclaré le tout nouveau président de la Communauté des Etats d'Afrique de l'Est.

Vu que le général a fait ces déclarations sur fond d’un large sourire à gorge déployée et dont il est particulièrement coutumier, il y a lieu de lui faire indulgence pour ses limitations en matière d'histoire. Même régionale. Son passé rebelle devrait tout excuser.

Mais son fourvoiement est aussi une excellente occasion de lui faire une petite leçon d'histoire. De lui montrer que la question de la Communauté des Banyamulenges est bien antérieure à 1996.

Ainsi, pour la bonne gouverne du Président burundais, il sied de rappeler certains faits historiques qui ne sont pas toujours à portée du maquisard Lambda.

Il est évident qu'avec l'avènement des belges au Rwanda après l'échec de l'Allemagne à la première guerre mondiale comme au Congo depuis sa colonisation a été l'élément catalyseur de la haine anti-Tutsi entretenue depuis plusieurs décennies dans les pays de la région des grands lacs ayant abouti au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 avec son corollaire de la haine véhiculée aujourd'hui dans les trois anciennes colonies belges (Congo, Rwanda et Burundi) qu'il veut sciemment perpétuer.

D'abord, en RDC, les contestations d'identité ethnique et politique aux Banyamulenges puisent leurs racines historiques dans l'œuvre coloniale au Congo, notamment les politiques administratives adoptées par l'Etat indépendant du Congo (1885-1908) et du Congo belge (1908-1960) liées à la création et la gestion des entités coutumières avec toutes leurs implications portant sur le droit foncier. La gouvernance coloniale au niveau local privilégia une gouvernance indirecte à travers un système d'institutionnalisation de l'autorité coutumière. Dans ce domaine l'œuvre coloniale consista aussi bien en un pouvoir de reconnaissance, discrétionnaire et de fois arbitraire, que d'un véritable pouvoir de création d'entités coutumières.

D'après plusieurs sources, les premières autorités coutumières reconnues par l'administration de l'Etat Indépendant du Congo et, ultérieurement, l'administration coloniale belge, incluant des entités dirigées par les Banyamulenges. Ce fut notamment le cas des chefferies dirigées par Gahuru (Kahutu) sous le régime de l'État Indépendant du Congo (EIC) et Kayira Sagitwe (Kaila) sous le Congo Belge. Les entités dirigées par ceux qui deviendront les Banyamulenges furent ultérieurement supprimées par un décret du 5 décembre 1933. Cette suppression d'entités coutumières précédemment reconnues s'inscrivait dans une volonté du pouvoir colonial de consolider les entités administratives locales par l'établissement des chefferies et secteurs agrandis.

Cependant, la suppression des entités dirigées par les Banyamulenge semble également répondre à d'autres dictats coloniaux. En effet, avant la suppression de la chefferie de Kaila (Kayira) en 1933, l'administration belge prit le soin de le reléguer à Lulenge pour permettre au chef Fuliru Mukogabwe d'administrer le territoire précédemment sous contrôle de Kayira sans obstacles.

Ensuite, pour y parvenir, l'administration coloniale belge fomenta un conflit entre les deux autorités coutumières en armant de fusils le chef Mukogabwe - qui venait de passer sept ans de service obligatoire au sein des Forces Publiques. A l'issue de ce conflit Mukogabwe fut imposé par l'administration coloniale qui reléguera de force le chef Kaila (Kayira Bigimba) à Lulenge, à quelques deux cents kilomètres du territoire précédemment sous son administration coutumière.

Les Présidents Tshisekedi et Ndayishimiye lors de la visite du président de la RDC au Burundi

Il convient de souligner que cette relégation de Kayira (Kaila) à Lulenge semblait s'inscrire dans une volonté coloniale de se débarrasser des chefs considérés comme étant moins malléables. En effet, la déportation de Kayira se déroula à peine sept ans avant la déposition du roi Musinga du Rwanda par le pouvoir colonial belge en Novembre 1931 et sa relégation à Kamembe au Rwanda, avant qu'il ne soit plus tard relégué à Moba au Congo Belge en 1940. Kayira a donc été relégué avant et au même titre que le roi Musinga du Rwanda.

Enfin, d'après les enquêtes faites par plusieurs anthropologues, avant la relégation de Kayila (Kaila), la succession du pouvoir a été faite successivement par ses descendants de Kayira I à Kayira V.

Il est évident qu'avec l'avènement des belges au Rwanda après l'échec de l'Allemagne à la première guerre mondiale comme au Congo depuis sa colonisation a été l'élément catalyseur de la haine anti-Tutsi entretenue depuis plusieurs décennies dans les pays de la région des grands lacs ayant abouti au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 avec son corollaire de la haine véhiculée aujourd'hui dans les trois anciennes colonies belges (Congo, Rwanda et Burundi) qu'il veut sciemment perpétuer.

Juste après l'Indépendance de la RDC, le premier Ministre Patrice Lumumba est assassiné. Cet assassinat a été suivi par une rébellion par son Ministre d'éducation, Pierre Mulele. Le bastion des insurgés est devenu les territoires de Fizi, Uvira et Mwenga sous le nom de Simba-Mulele.

Certains des chefs rebelles trouvent refuge au Burundi notamment Gaston Sumailot. Comme au début il semblait comme un mouvement de révolution généralisée, les Banyamulenges l'ont soutenu au début mais après ils se sont retirés car les membres de la rébellion provenant des tribus locales (Babembe et Bafuliru) se sont retournés contre les Banyamulenges. Beaucoup de Banyamulenge étaient victimes des massacres. Les lieux de ces tueries étaient soit des églises ou des pâturages.

Beaucoup des Banyamulenges ont été massacrés partout où ils étaient certains dans leurs églises pendant les prières. Les massacres les plus connus sont ceux de Kirumba and Katongo (groupement de Bijombo, en territoire d'Uvira) en 1966, Kahwela et Nganja (territoire de Fizi).

Comme conséquence, toute la communauté Banyamulenge a quitté les hauts plateaux vers la plaine de la Ruzizi (territoire d'Uvira) et à Baraka en territoire de Fizi. Les déplacés internes ont subi des conditions humanitaires extrêmes, des milliers sont morts de la malaria et autres maladies tropicales. La raison de ces persécutions contre les Banyamulenges n'était qu'autre qu'ils sont « des étrangers » ou les n'ayant pas droit. La guerre est devenue interethnique dans les plateaux d'Itombwe avec beaucoup des pertes de vies humaines.

Aujourd'hui, la chefferie de Barundi a changé le nom pour devenir la Chefferie de la plaine tout simplement pour réduire les tensions violentes contre eux. Beaucoup des Barundi se sont assimilés aux Bafuliru ou d'autres sont devenus des hybrides entre Barundi et Bafuliru. Une destruction de leur identité continue. Ce phénomène n'est pas unique aux Barundi : certaines communautés ont été chassées de leurs milieux naturels ou assimilées dans d'autres comme les Masanze, Wagoma, Wajoba, Wabuyu ou Wabwari.

Dans les années 1970-80, les Banyamulenges seront ciblés encore une fois. La loi sur la nationalité est modifiée plusieurs fois sous les demandes de certains politiciens extrémistes en mal de positionnement. Ces derniers poussent les membres de leurs ethnies successives de qualifier les Banyamulenges et les autres Rwandophones comme des étrangers au Congo. Pendant le début du processus de démocratisation, entre 1992-1994, les Rwandophones (inclus les Banyamulenge) et autres aux facies dits suspects notamment Mushobekwa et consorts ont été chassés de la Conférence Nationale Souveraine. Une résolution parlementaire est passé en 1995 pour conclure formellement que ces communautés sont d'une « nationalité douteuse ».

Cette décision était soutenue par une commission appelée Vangu Mambweni créé par un ressortissant de Fizi, Anzuluni Bembe, et sera appliquée par les autorités locales comme l'administrateur du territoire d'Uvira, Shwekwa Murabazi et Ngabo Lwabanji, un ancien vice-gouverneur du Sud Kivu. Les deux ont donné un ultimatum de 7 jours aux Banyamulenge de quitter le territoire du Zaïre à l'époque pour rentrer dans leur pays supposé le Rwanda, il s'en est suivi des tueries et massacres massives de Banyamulenge mais aussi la confiscation de leurs biens et depuis Décembre 1995.

Au même moment, ces extrémistes se sont coalisés avec le mouvement rebelle burundais, FDD-CNDD dans la logique de créer une base arrière militaire : le gouverneur Kyembwa wa Lumona accompagnant Nyangomba sur base des idéologies tribalistes qui étaient déjà enclines dans la région. Ce dernier a été introduit aux Banyamulenges comme l'homme qui sera chargé de leurs déportations vers le Rwanda.

Delà à dire que la question des Banyamulenge ne date que de 1996 reviendrait à affirmer que le conflit hutus-tutsis au Burundi date de 1993.

C'est aussi une aberration que d'affirmer que les Barundi de la plaine de Ruzizi vivent pacifiquement avec leurs voisins paix comme l'a déclaré sans ambages le président burundais.

En effet, la chefferie de Barundi est l’une des trois recrées (élargies) par les colons belges après la suppression des autres. Mais leur pouvoir coutumier a toujours été contesté. Les conflits entre Bafuliro et Barundi dans la plaine de la Ruzizi remontent à l'époque coloniale. Les Barundi ont été sujets des plusieurs persécutions. Pour les Bafuliru, les Barundi étaient des voleurs de bétail qui avaient traversé la rivière Ruzizi pour échapper au Roi Ntare Rugamba du Burundi. Le conflit entre les Barundi et Bafuliru a toujours été violent et avec minime intervention de l'état congolais.

Un des plus grands événements de ce conflit est l'assassinat du chef (Mwami) de la communauté Barundi, après sa réinstallation par les autorités nationales à la tête de la chefferie de la plaine de Ruzizi. Les enquêtes judiciaires relatives au dossier de cet assassinat ont mis en cause les éléments d'une milice la tribu de Bafuliro. Quatre chefs coutumiers Bafuliro ont ainsi été arrêtés, ce qui a déclenché une spirale de violences dans la plaine de Ruzizi au cours de l'année 2012.

Vers la fin des années 1990, les Bafuliru reprochent le Mwami Ndabagoye d'avoir perdu son pouvoir, ainsi que ses descendants, parce qu'il a soutenu la rébellion de RCD et donc, selon eux, il a « trahi le pays au profit du Rwanda » pourtant que plusieurs Bafuliru étaient enrôlés en plusieurs rebellions et sont actifs dans les mouvements Mayi-Mayi comme vous le savez très bien SE Monsieur le président.

Aujourd'hui, la chefferie de Barundi a changé le nom pour devenir la Chefferie de la plaine tout simplement pour réduire les tensions violentes contre eux. Beaucoup des Barundi se sont assimilés aux Bafuliru ou d'autres sont devenus des hybrides entre Barundi et Bafuliru. Une destruction de leur identité continue. Ce phénomène n'est pas unique aux Barundi : certaines communautés ont été chassées de leurs milieux naturels ou assimilées dans d'autres comme les Masanze, Wagoma, Wajoba, Wabuyu ou Wabwari.

Bien plus, en disant qu'il n'y a pas d'ethnie sans chef coutumier, le président burundais a aussi lourdement tort.

Il y avait certainement certaines structures du pouvoir coutumier avant la colonisation mais c'est grâce aux autorités coloniales que ce système a été généralisé et a pris une considération importante dans la gouvernance des entités territoriales au Congo. Les administrateurs coloniaux, les autorités traditionnelles servaient comme des auxiliaires du pouvoir colonial et jouaient le rôle des intermédiaires auprès de la population autochtone. Étant des facilitateurs du pouvoir colonial, les colonisateurs Belges se sont beaucoup impliqués dans leur nomination. Comme illustration, les Belges reconnaissaient soit un chef coutumier illégitime et en d'autres cas, ils ont créé des Chefs là où le pouvoir coutumier n'existait pas.

Enfin, dans d'autres situations, ils ont combiné une autorité traditionnelle de certaines ethnies avec d'autres. Il y aussi une mauvaise compréhension comme celle que vous avez démontré que chacune de plus de 450 tribus de la RDC détient un Mwami. Il y a plusieurs ethnies sans un Mwami. Pour vous citer seulement une connue mieux par vous excellence Monsieur le Président, les Babembe n'ont pas un Mwami. D'ailleurs ces chefferies coutumières n'existaient qu'en RDC dans ces colonies belges précitées. Notamment chez vous au Burundi, qui par contre n'a jamais connu des chefferies tribalo-ethniques des Tutsis ou des Hutus. De même, les royaumes qui y étaient connus que ce soit au Burundi comme au Rwanda n'y sont plus. L'insinuation de cette politique désuète cache des relents divisionnistes qui visent à soulever certains peuples contre les autres.  

D'aucuns se posent plusieurs questions sans réponses. Entre autres ces allégations aberrantes ont-elles étaient tenues dans quel contexte ? Vu la dynamique des discours haineux qui prévaut actuellement à l'Est de la RDC suivi des tueries ciblant les Banyamulenge et autres Rwandophones surtout Tutsis, comment se fait-il qu'un président d'un pays tiers puisse tenir des propos quasiment diffamatoires de cette tribu qui n'est pas de son pays ?  

En conclusion, il existe plusieurs ethnies en RDC, en étant président d'un pays voisin, c'est préoccupant que vous tenez des positions critiques sur seulement une ethnie de votre pays voisin. Vos propos donnent une impression que les Banyamulenges n'ont pas une histoire politique. Mais plus fort encore ça démontre que vous avez fait des interactions avec les populistes extrémistes.

En tant qu'un chef de l'état, il faudra avoir des experts dans la question. S'immiscer dans les affaires politiques d'une population d'un pays tiers exige des tacts d'une finesse dont les chefs de l'état doivent être domptés afin de ne pas jeter de l'huile sur le feu de la haine ethnique qui couve dans la région. Personne ne prétend pas donner des leçons au chef de l'État burundais, toutefois l'on peut regretter que cela ait eu lieu. Toutes fois, il faut absolument reconnaitre l'hospitalité de la République du Burundi aux Banyamulenge vivant au Burundi.  


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Alex Mvuka

Doctorant en Sciences Politique et Relations Internationales, Université de Kent. Il est analyste politique sur la région des grands lacs et directeur du Centre de Recherches et d’Analyses sur la Région des Grands Lacs