Y a-t-il un Pilote dans l’avion « BURUNDI » ?

Dix-neuf ans après que le parti CNDD-FDD est au pouvoir, les hauts responsables sont bien obligés de se rendre à la triste évidence : l’avion « Burundi » n’a plus de pilote, il est entrain de s’écraser, et le peuple avec. Est-ce à cause de l’absence du pilote dans le cockpit ? Existe-t-il un pilote, mais qui ne dispose pas de capacités nécessaires de pilotage, pour conduire ce gros avion « BURUNDI », et le conduire à bon port ?

Par
Andre Nikwigize
on
15.6.2024
Categorie:
Economie

Ces derniers temps, les hauts responsables du pouvoir, - le Chef de l’Etat en tête, le Premier Ministre, le Ministre des Affaires Etrangères, le Ministre des Finances, et autres -, à travers leurs discours semblent être dépassés par une situation économique et financière explosive, comme s’ils venaient de la découvrir à l’instant, et qu’ils ne savent plus qui doit prendre les décisions pour redresser cette situation catastrophique qui est entrain d’emporter des millions de burundais dans le gouffre. Les ressources publiques sont gaspillées, ou détournées, les marchés publics sont accordés à des amis ou des parents, l’administration publique est inefficace, les devises manquent, le carburant manque, pas d’électricité, d’eau, de bières, de sucre, les prix des denrées essentiels augmentent, les investisseurs privés, nationaux et étrangers, ne veulent pas venir investir au Burundi, la Diaspora burundaise est divisée, et n’aide pas le Burundi, la production agricole est insuffisante pour nourrir la population, le pays n’exporte pratiquement plus rien, par rapport aux besoins d’importations, les partenaires extérieurs ne veulent plus aider le Burundi, etc, etc. Mais à qui la faute ? Qui doit corriger ces travers ? Personne ne reconnait la responsabilité dans cette dérive. Le Chef de l’Etat lui-même crie aux voleurs, aux fonctionnaires.

Dix-neuf ans après que le parti CNDD-FDD est au pouvoir, les hauts responsables sont bien obligés de se rendre à la triste évidence : l’avion « Burundi » n’a plus de pilote, il est entrain de s’écraser, et le peuple avec. Est-ce à cause de l’absence du pilote dans le cockpit ? Existe-t-il un pilote, mais qui ne dispose pas de capacités nécessaires de pilotage, pour conduire ce gros avion « BURUNDI », et le conduire à bon port ? C’est l’impression que les Burundais ont. Le Gouvernement se plaint, à commencer par le pilote de l’avion, la population se plaint, et elle crie au secours, car elle est entrain de mourir, et demande encore, et encore : y a-t-il un pilote dans cet avion ? Qui peut le redresser ? Qui dispose du carnet de bord de l’avion ? Autant de questions que le peuple dans cet avion « Burundi », au bord du désespoir, ne cesse de poser. Aucune réponse. Ou plutôt, une réponse : Souriez, vous êtes heureux.

Et pourtant, les institutions sont là, les ressources ne manquent pas

En 2005, lorsque le CNDD-FDD accédait au pouvoir, il héritait, certes, d’une économie fortement affectée par des conflits de plus de 10 ans. Néanmoins, il bénéficiait de deux atouts importants qui auraient dû lui permettre de redresser l’économie dans les délais les plus courts possibles : (a) l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi ; (b) l’appui de la communauté internationale pour la mise en œuvre de cet Accord.

En signant l’Accord de Cessez-le-Feu, faisant partie de l’Accord de Paix, le CNDD-FDD s’était engagé à mettre en œuvre les dispositifs de cet Accord, qui permettait au Burundi de revenir sur la trajectoire de la paix et de la relance économique. Cet Accord comprenait, entre autres : l'instauration d'un nouvel ordre politique, économique, social, culturel et judiciaire au Burundi, dans le cadre d'une nouvelle constitution inspirée des réalités du Burundi et fondée sur les valeurs de justice, de la primauté du droit, de démocratie, de bonne gouvernance, de pluralisme, de respect des droits et libertés fondamentaux des individus, d'unité, de solidarité, d'égalité entre les hommes et les femmes, de compréhension mutuelle et de tolérance entre les différentes composantes politiques et ethniques du peuple burundais. Dès l’accession au pouvoir du CNDD-FDD, en 2005, cet accord fut mis aux oubliettes, y comprise la Constitution qui en est issue, et promulguée en mars 2005.

Et pourtant, la communauté internationale, qui avait appuyé les acteurs politiques dans les négociations et la signature de l’Accord, se sont investis, au travers des appuis financiers et techniques, pour assurer une relance économique et réduire le niveau de pauvreté dans laquelle la population était plongée depuis 1993. L’aide publique au développement accordée au Burundi a été multipliée par 13, en 20 ans, passant de 56,4 millions de dollars américains, en 1997, à 742,6 millions de dollars américains, en 2016. Ces ressources des aides, de même que les taxes fiscales, elles ont servi à quoi ? Elles ont été soit, mal gérées, soit dilapidées par des hauts responsables du pouvoir. L’argent n’a pas été investi dans les secteurs de production pour assurer la sécurité alimentaire de la population, augmenter les produits d’exportation, bâtir les infrastructures routières et énergétiques, les télécommunications.

Des mesures institutionnelles mal préparées

Sans s’en référer aux experts et aux principes de bonne gouvernance, le Chef de l’Etat, les ministres, le Gouverneur de la Banque Centrale, et d’autres hauts responsables prennent des mesures qui se révèlent, par la suite, non productives et impopulaires.

Pendant qu’une large proportion de la population burundaise se trouve dans l’extrême pauvreté, qu’elle meurt de faim et de dénouement total, le Chef de l’Etat décide de mettre en place des projets qui ne servent que les intérêts des uns parmi les hauts responsables du pouvoir. Tantôt, c’est la culture d’avocats, tantôt, l’élevage de lapins,tantôt, les coopératives, tantôt des sociétés d’entreposage de produits vivriers, tous des projets qui engloutissent d’énormes ressources financières,qui pourraient être investies dans la sécurité alimentaire, la scolarisation des enfants, la couverture sanitaire de la population, l’accès de la population à  l’électricité, à l’eau, aux services d’internet, la réfection des routes.  

La gestion des ressources en devises a été une autre forme de mauvaise politique d’utilisation des maigres ressources dont dispose le pays. Tout en sachant que ces ressources ne sont pas suffisantes pour couvrir les besoins d’importations de biens essentiels, tels le carburant,les médicaments, les engrais, les produits alimentaires essentiels, elles sont attribuées à des amis et proches, pour être détournées et les enrichir. Aujourd’hui, le carburant manque, avec pour conséquences la hausse des prix de transport et de première nécessité, les agriculteurs manquent d’engrais pour leurs champs, les médicaments, les produits alimentaires, etc. Y a-t-il une autorité politique pour réguler l’affectation des ressources et leur bonne utilisation ?

Le Marché Interbancaire de Devises (MID) fut unéchec. Il avait pour objectif de stabiliser les cours de change du Franc Burundais(BIF) par rapport aux devises étrangères. Mais, étant donné l’insuffisance de devises, -puisque le pays n’exporte pratiquement pas grand-chose, et que les partenaires extérieurs ont réduit leurs aides -, le peu de devises disponibles dans les banques et bureaux de change se sont vite volatilisées, au profit de certains influents, et le taux de change $/FBU a flambé, passant de 1$=2.899BIF, en mai 2023, à 1$=6.100 BIF, en juin 2024. Un grand risque de dollarisation de l’économie se dessine à l’horizon. Les commerçants, les agences de voyage,les hôtels, qui ne peuvent plus accéder aux devises pour importer, vont exiger de leurs clients d’être payés en devises.

D’autre part, au moment où l’économie avait besoin d’une relance, par l’injection de nouvelles ressources pour booster la production, comme le font d’autres économies en crise, la Banque Centrale décida d’augmenter à 12% les taux débiteurs aux banques commerciales, sous prétexte de réduire la consommation des ménages et l’inflation. Une mesure qui a pour conséquences de réduire les crédits aux entreprises de production, limiter les emplois et priver l’Etat de taxes.

Des budgets et des taxes pour financer le train de vie des hauts dignitaires

Depuis quelques années, bien que le pays se soit engagé dans un programme de réformes économiques, et que le Gouvernement ait annoncé la Vision 2040/2060, les budgets successifs de ces dernières années reflètent une taxation excessive de la population, pour augmenter les recettes fiscales, pour permettre les dépenses publiques à un niveau élevé.

Le budget 2023/2024, par exemple, accusait une augmentation de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) sur tous les produits, avec une pression fiscale de 18,8%, le niveau le plus élevé de la sous-région de l’Afrique de l’Est. Cette taxation excessive pénalise les pauvres et les couches les plus vulnérables, qui doivent consentir des efforts immenses pour contribuer à financer le budget de l’Etat.

D’autre part, les dépenses publiques restent élevées, plus de 50% d’augmentation sur une année, tandis que les investissements baissent considérablement. Dans un pays où la pauvreté touche une grande partie de la population, le Gouvernement devrait consentir des efforts pour réduire son train de vie.  Aucun ne s’explique les nombreuses missions des responsables à l’extérieur, les importations de véhicules de luxes, gouvernementaux ou privés, des vins et spiritueux, alors que ces importations devraient être réduites pour dégager des ressources en faveur des couches les plus vulnérables. Ce sont finalement les pauvres qui financent le train de vie élevé des couches les plus aisées.

Il est temps de prendre des réformes économiques audacieuses

La situation économique actuelle ne peut continuer. L’Etat doit accepter que le Burundi est en voie d’implosion et que pour sortir de cette crise, des réformes audacieuses doivent être prises. L’Etat doit réduire son train de vie, en réduisant les dépenses publiques, investir dans la production, dans les infrastructures routières, l’accès à l’énergie, lutter contre le gaspillage des ressources publiques et la corruption. Depuis plusieurs années, des experts nationaux et internationaux, des organisations internationales, des forums économiques, ont formulé des recommandations sur les mécanismes de relance économique, mais aucune n’a été mise en œuvre. Dans toutes les façons, étant donné que le pilote de l’avion « BURUNDI », -le Chef de l’Etat-, a déjà montré ses limites et qu’il ne semble pas en mesure de redresser la situation, à moins de trouver un autre pilote dans l’avion, ce dernier va s’écraser. Le peuple avec.

Dirigeants, Peuple Burundais, Réagissez avant qu’il ne soit tard.  L’avion « Burundi » va s’écraser si rien n’est fait.

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Andre Nikwigize

Ancien Conseiller Economique Principal auprès du Secrétariat Général des Nations Unies à New York. Auparavant, il a exercé les mêmes fonctions auprès de la Commission Economique des Nations Unies pour l`Afrique (CEA). Economiste de formation, Monsieur Nikwigize a occupé respectivement des postes de Chef en charge des Questions Macroéconomiques à la Présidence de la République, Directeur de la Planification Economique et Directeur Général du Plan auprès du Premier Ministre entre 1982 et 1991