Course contre la montre: le nouveau régime de Gitega manque d'argent et il doit en trouver rapidement
En somme, malgré tous les efforts frénétiques menés par Albert Shingiro, l'un des diplomates les plus maladroits du pays, le régime risque d'être déçu par la réponse des donateurs, à moins qu'il ne s'efforce à proposer des politiques cohérentes et convaincantes qui abordent les plus grands problèmes d'équité, de justice indépendante, de droits de l’homme et de bonne gouvernance. Contrairement au discours politique public devenu populiste, les autorités sont bien conscientes du fait que le Burundi, officiellement pays le plus pauvre du monde, ne peut, sans l'aide étrangère, se sortir du gouffre économique dans lequel il a plongé. Malheureusement, les donateurs étrangers sont devenus plus exigeants car ils sont eux aussi sous la pression de leurs citoyens pour exiger les normes de gouvernance les plus élevées.
Evariste Ndayishimiye est un homme sous pression. Lui et son nouveau gouvernement (cette étiquette "nouveau" est trompeuse car lui et ses principaux ministres, y compris le Premier ministre, ont toujours fait partie de la petite mais toute puissante clique qui détient tous les leviers du pouvoir au Burundi depuis 2005) sont engagés dans une course contre la montre pour sauver une économie qui est maintenant au bord de l'effondrement total après cinq ans de chaos, de mauvaise gouvernance, de troubles socio-politiques et de posture autoritaire croissante.
Certes, le gouvernement d'Evariste Ndayishimiye a hérité d'une économie ravagée par une combinaison de corruption, de mauvaise gouvernance et de sanctions économiques imposées par ses donateurs traditionnels comme l'Union européenne. Evidemment, lui et ses tout puissants ministres ont contribué au cours des 15 dernières années à ces maux qui affligent l'économie du pays, mais malheureusement pour eux, ils sont maintenant aux commandes et ne peuvent plus se cacher et blâmer Pierre Nkurunziza qui n'est plus en vie.
Albert Shingiro est-il la bonne personne pour courtiser les donateurs?
Fervent artisan et meneur de la diplomatie de confrontation, de déni et de whataboutisme du régime de feu président Nkurunziza, Albert Shingiro vient de passer les 5 dernières années en tant que représentant du Burundi au siège de l'ONU à New York. Sa diplomatie combative consistant à lancer des coups et contre-coups frénétiques sur quiconque osait critiquer le régime de Pierre Nkurunziza lui a valu très peu d'amis au sein d'un corps diplomatique international épris de décorum. Il est rapidement devenu, avec les frères Nyamitwe, le visage du déni du régime de Pierre Nkurunziza, qui, contre toute évidence, continuaient à insister que tout allait bien au Burundi. Il a d'ailleurs joué un rôle déterminant dans la chasse du pays du bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme.
Il s'est même engagé dans la négation du génocide contre les tutsis de 1994 au Rwanda pour tenter de réfuter l'intervention du Rwanda sur la situation désastreuse des droits de l'homme au Burundi. Des coups bas comme ceux-ci ne se font pas oublier rapidement, et témoignent d'une maladresse et manque de tact d'un diplomate du niveau d'Albert Shingiro. Depuis qu'il a hérité du ministère des Affaires étrangères, il fait montre de la même maladresse diplomatique.
Une récente réunion de tous les diplomates en poste au Burundi convoquée par ce ministre des Affaires étrangères est un de ces signes de désarroi du régime actuel de Gitega, et de l'ineptie de l'homme qui est devenu le chef de la diplomatie d'Evariste Ndayishimiye. Le ministre, Albert Shingiro a menacé d'imposer des sanctions à tous les pays et entités qui ont imposé des sanctions contre le Burundi. Une menace qu'il a soigneusement habillée dans le «principe de réciprocité». C'est risible qu'un pays qui cherche à rentrer dans les bonnes grâces des donateurs se livre aux menaces creuses comme l'a fait le ministre Albert Shingiro. Le rapport de force exige une certaine sobriété et un pragmatisme qui semblent bien manquer chez ce ministre.
Pour un pays très pauvre comme le Burundi, qui dépend presque entièrement de donateurs étrangers pour alimenter ses coffres en devises dont il a tant besoin, ces menaces sonnent si creuses qu'elles trahissent le désespoir d'un régime qui est aux commandes d'une économie en implosion. Le Burundi a très peu de poids et leviers diplomatiques contre des géants comme l'Union Européenne ou les États-Unis d'Amérique. Ces menaces proférées maladroitement et qui sont en grande partie pour la consommation interne, trahissent la position intenable dans laquelle se trouve le nouveau régime: comment demander publiquement de l'aide à ceux qu'il vient de passer ces 5 dernières années à présenter comme les ennemis du Burundi, sans perdre la face.
Cette situation économique désastreuse a de multiples implications opérationnelles, même pour un diplomate en chef aussi combatif que M. Shingiro. Ainsi, on parle de fermeture imminente des ambassades du Burundi au Canada, Brésil et ailleurs. En plus, le Burundi accuse des retard des contributions aux organisations dont il est membres comme la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Est (CAE), la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale -CEEAC et même l'ONU. Au total on parle de 7 ambassadeurs en cours de rappel. Tout cela fragilise davantage la position et image du Burundi dans le concert des nations.
Il est tout à fait raisonnable que le régime de Gitega procède à une réduction de son armée diplomatique. Cette réduction est en grande partie dictée par le manque d'argent pour financer des missions diplomatiques gonflées. À première vue, cela semble être une décision managériale stratégique et raisonnable. Mais aussi, c'est l'occasion pour Evariste Ndayishimiye et le combatif Albert Shingiro de former une nouvelle équipe diplomatique qui correspond à leur vision du Burundi.
Des efforts frénétiques pour rétablir l'aide étrangère
Face au gouffre économique, le régime d'Evariste Ndayishimiye est engagé dans des efforts frénétiques pour rétablir l'aide étrangère. Le manque de devises dans un pays qui importe presque tout est très inquiétant et risque de plonger le pays dans une spirale qui conduira sans doute à une implosion sociale. En privé, le nouveau ministre des Affaires étrangères -une ancienne main de la diplomatie combative de Gitega qui était jusqu'à sa prise de poste ministériel chargé de contrer tous les coups portés au régime dans les salles de réunion de l'ONU à New York- apparemment envoie tous les bons signaux aux donateurs traditionnels du Burundi. Publiquement, cependant, le langage politique est toujours combatif et les autorités burundaises blâment toujours leurs donateurs étrangers traditionnels pour tous les problèmes qui se posent au Burundi.
Le régime a jusqu'à présent réussi à maintenir les masses hutues de son côté en déployant une tactique ancienne mais bien efficace: blâmer les anciens régimes et se cacher derrière des tropes ethniques qui visent à coller tous les maux qui engloutissent le pays sur le dos des tutsis qui étaient aux commandes jusqu'en 2005. Cependant, si l’économie ne se redresse pas rapidement, cette tactique s’usera très vite. Le régime d'Evariste Ndayishimiye le sait très bien, d'où ces efforts diplomatiques frénétiques.
Si l'étiquette «nouveau» peut être trompeuse par rapport au gouvernement d'Evariste Ndayishimiye, ce gouvernement représente néanmoins la fin d'une époque. Une période de plus de 10 ans dominée par un seul homme - Pierre Nkurunziza. Le fait qu'Evariste ne soit pas Pierre lui donne déjà un certain bénéfice du doute malgré qu'il se soit entouré (sur le premier plan) par de durs qui font toujours l'objet de sanctions internationales pour crimes contre l'humanité.
Ses belles paroles, prononcées stratégiquement dans les tout premiers jours après avoir pris le contrôle du régime, ont depuis été exposées pour ce qu'elles étaient: des paroles en l'air visant à simuler une évolution positive. Depuis, il est revenu sur les ordres donnés aux membres de son gouvernement de déclarer leur richesse conformément à la constitution. Ce qui sans doute va inciter tout donateur d'aide qui avait l'intention de recommencer à donner de l'argent à l'État à réfléchir deux fois. Bref, la dernière grande sortie médiatique du nouvel homme fort de Gitega l'a montré n'être rien d'autre qu'une continuation de l'ancien régime qui n'a aucun respect pour l'État de droit.
Se cacher derrière un voile de piété et d'exceptionnalisme religieux pour cacher leur ineptie
Si le désespoir semble prendre le dessus sur tous les efforts diplomatiques, très peu est fait pour rendre la politique du régime cohérente et convaincante. La bonne gouvernance n'est encore qu'un rêve. Le discours politique public est toujours hostile, belliqueux et inutilement caustique. Au lieu de faire face aux problèmes du pays avec une approche pratique et stratégique, et reconnaître à certains égards les multiples échecs des 15 dernières années, le régime choisit toujours de blâmer les pays étrangers (surtout l'occident) et de se cacher derrière un voile de piété et d'exceptionnalisme religieux pour cacher leur ineptie aux masses qui sont en descente continue vers une pauvreté abjecte.
Bien qu'il y ait eu des poursuites contre de petit et moyens fonctionnaires, y compris des agents de police pour de petits actes de corruption et de vol, les principaux coupables de pratiques de corruption massive qui ont drainé des centaines de millions de dollars des coffres publics restent hors de portée de toute action judiciaire.
Lutter contre les violations des droits de l'homme est devenu un sujet tabou auquel le nouveau président ne veut pas s'attaquer. Cela est surprenant dans la mesure où cela constitue la pomme de discorde entre le régime de Gitega et ses donateurs traditionnels.
Ce qui est plus surprenant, c'est qu'un régime qui professe sa piété et sa stricte adhésion aux normes bibliques jugerait bon de se livrer à des violations massives des droits de l'homme ou de ne pas s'attaquer au problème. Sans doute qu'un vrai chrétien prendrait la justice sociale et les droits de l'homme pour une cause juste!
En somme, malgré tous les efforts frénétiques menés par Albert Shingiro, l'un des diplomates les plus maladroits du pays, le régime risque d'être déçu par la réponse des donateurs, à moins qu'il ne s'efforce à proposer des politiques cohérentes et convaincantes qui abordent les plus grands problèmes d'équité, de justice indépendante, droits de l’homme et de bonne gouvernance.
Contrairement au discours politique public devenu populiste, les autorités sont bien conscientes du fait que le Burundi, officiellement pays le plus pauvre du monde, ne peut, sans l'aide étrangère, se sortir du gouffre économique dans lequel il a plongé. Malheureusement, les donateurs étrangers sont devenus plus exigeants car ils sont eux aussi sous la pression de leurs citoyens pour exiger les normes de gouvernance les plus élevées.
Ce n'est pas un hasard si le Rwanda, voisin du nord, continue de bénéficier de la générosité des donateurs grâce à sa gouvernance désormais légendaire.
La paranoïa, l'arrogance et la diplomatie de la confrontation avec les bailleurs de fonds, dont la seule demande est que les citoyens du pays qui reçoit leur aide soient traités humainement et équitablement, ne sont pas une stratégie gagnante. Inspirer la confiance et montrer une volonté de s'engager et de résoudre les problèmes est ce dont le régime d'Evariste Ndayishimiye a besoin.