Après Nkurunziza, le régime burundais se transforme rapidement en junte militaire

Il semble alors que le régime burundais se métamorphose rapidement en une junte militaire classique. Pour un pays qui reste sous sanctions économiques internationales, cette nouvelle image de junte militaire risque d'aliéner sans aucun doute toute entité ou pays enclin à renouer des relations avec le Burundi.Bien que ce changement soit peut-être une méthode de survie pour le régime et le parti au pouvoir, il s'agit d'un cauchemar de relations publiques qui aliénera la plupart des partenaires qui se méfient de et détestent être associés à des dictatures, surtout celle qui veut projeter une image d'une junte militaire.‍

Par
Arthémon Masabo
on
1.10.2020
Categorie:
Politique

Le régime au pouvoir au Burundi est issu d'une rébellion qui s'est formée au milieu des années 1990 pour combattre le régime alors dominé par les tutsis, dirigé par une élite d'officiers militaires originaires pour la plupart de la province de Bururi au sud du Burundi.

L'accession au pouvoir du CNDD-FDD est moins dramatique que la plupart des rébellions en ce qu'un accord négocié est la voie qui a permis au mouvement armé d'accéder au pouvoir. Depuis son arrivée au pouvoir, peu de choses ont changé dans la façon dont les affaires étaient gérées dans la rébellion. Un petit clic de généraux a gardé un contrôle serré de toutes les affaires du gouvernement.

Tout espoir initial de modernisation et de professionnalisation de l'appareil d'État s'est estompé. Sous la présidence de feu président Nkurunziza, les factions étatiques et les organes du parti avaient mis en place des structures de pouvoir informelles sous la forme d’un millefeuille institutionnel. Ces structures gravitaient autour du chef de l’État, du général Alain Guillaume Bunyoni, alors ministre de la sécurité publique, du général Etienne Ntakarutimana, chef des services de renseignements, du général Evariste Ndayishimiye alors secrétaire général du CNDD/FDD et du directeur de cabinet militaire du Président de la République.

Une gouvernance clientéliste héritée de Nkurunziza

Nkurunziza laisse l’héritage d’une gouvernance clientéliste et répressive qui donne à quiconque contrôle les leviers du pouvoir la possibilité de s’enrichir et de mater par violence tout opposant. Cette situation est d’autant plus explosive que le pays a derrière lui un passé de violences ethniques et que le risque d’instabilité est accru dans la région.

Ayant été président depuis 2005 et ayant acquis de l'expérience au fil du temps et placé stratégiquement ses hommes aux bons endroits au sein des structures étatiques, le président Nkurunziza avait un meilleur contrôle sur les généraux dont l'appétit d'acquérir rapidement des richesses est devenu une réelle menace pour l'Etat. Evariste Ndayishimiye est l'un des hommes sur lesquels le président Nkurunziza s'est appuyé pour museler toutes les voix discordantes et, si nécessaire, éliminer tout élément gênant.

En tant que chef du cabinet militaire à la présidence de Nkurunziza, Ndayishimiye était chargé de superviser les Imbonerakure, la milice du parti responsable en grande partie des actes d’intimidation et de violence commis à l’égard des civils durant le mandat de Nkurunziza. Sous ces pouvoirs parallèles, les ordres se diffusaient au travers d’un réseau d’allégeances dont les fondements remontaient à la guerre civile burundaise parfois qualifiée de guerre ethnique (1993-2005).

L'après Nkurunziza allait être réglementé par un processus de délibération interne au sommet duquel Pierre Nkurunziza allait jouer un rôle crucial. À la manière d’un triumvirat russe inscrit dans la Constitution du parti au pouvoir, Nkurunziza était appelé à jouer le rôle du « Guide éternel suprême » doté de pouvoirs supra-étatiques qui allaient lui permettre d'opposer un véto aux décisions du président et du premier ministre.

Généraux Evariste Ndayishimiye et Alain Guillaume Bunyoni , respectivement président  et premier ministre du Burundi

Nkurunziza avait une nette préférence pour Pascal Nyabenda comme son successeur. Alors président de l'Assemblée Nationale, Nyabenda était censé émerger jusqu'à la dernière minute comme le successeur choisi du Guide suprême. La mise à l’écart de Pascal Nyabenda a suscité une grande consternation au sein du parti et a eu pour effet d’intensifier les manœuvres visant à contrôler le parti et le pays entre ses différentes factions.

Les luttes internes ont abouti à un résultat inattendu. Evariste Ndayishimiye est devenu le successeur de Nkurunziza. Confiant à l'arrangement qui lui donnait des pouvoirs de veto sur son successeur, Pierre Nkurunziza a embrassé le nouveau candidat à la présidence et a fait campagne pour lui. En écho aux origines nationalistes hutues du CNDD-FDD, les généraux de l'aile dure ont souhaité non seulement un camarade militaire ayant combattu avec eux du temps de la rébellion hutue mais aussi un faucon à la ligne plus dure que Nkurunziza. Ainsi la candidature de Nyabenda n'avait pas pu passer.

Le fait que Ndayishimiye ait été contraint de choisir le général Alain Guillaume Bunyoni comme Premier ministre et Gervais Ndirakobuca comme super ministre (coiffant trois ministères) est révélateur des jeux d’influence qui se jouent au sein du CNDD-FDD.

La prépondérance des militaires au sein de ce pouvoir transforme effectivement le Burundi en junte militaire. D'ailleurs, la majorité des gouverneurs de province sont aussi issue de l'armée ou de la police. Cette prise de contrôle complète des structures étatiques verticalement de haut en bas par les généraux rappelle les régimes militaires précédents qui se succedaient à la tête du pays (par des coups d'État) depuis les années 1960.

Une junte militaire: Un risque pour le pays et un cauchemar de relations publiques

Cette emprise sur le pouvoir par les généraux semble pousser le président nouvellement élu dans des situations intenables. A titre d'exemple, ayant fait de la lutte contre la corruption une priorité et appelant les ministres à déclarer leur richesse comme l'exige la constitution, Evariste Ndayishimiye a été contraint de reconnaître que cet exercice constitutionnel n'allait pas se dérouler comme prévu. «Certains ministres sont si riches qu'il leur faudrait des semaines pour lister tous leurs atouts», a-t-il tenté sans se convaincre de justifier son retrait timide de sa décision précédente. «La richesse d'un individu est une affaire privée», a-t-il dit, dans une tentative de justifier son repli humiliant.

Alors que Nkurunziza aimait projeter l'image d'un homme bon mais impuissant à contrôler ce que faisaient les généraux, Evariste Ndayishimiye apparaît véritablement impuissant devant les deux hommes les plus puissants qui partagent avec lui les contrôles du pouvoir.

Nkurunziza était un maître manipulateur et contrôlait ( surtout après le coup d'état manqué de 2015) d'une main de fer toutes les dynamiques à tous les niveaux des structures de l'État et du parti au pouvoir. Il tenait à garder l'image d'un dirigeant civil, tout en gardant ses racines de combattant profondément ancrées dans les structures de l'armée qu'il avait réussi à plier à sa volonté.

Evariste Ndayishimiye de son côté semble vouloir polir et afficher fièrement ses lettres de créance militaires, préférant que son grade militaire de Général soit bien affiché devant son nom. Il en va de même pour Alain Guillaume Bunyoni (l'officier le plus gradé de l'histoire du Burundi) et Gervais Ndirakobuca (alias Ndakugarika).

Il semble alors que le régime burundais se métamorphose rapidement en une junte militaire classique. Pour un pays qui reste sous sanctions économiques internationales, cette nouvelle image de junte militaire risque d'aliéner sans aucun doute toute entité ou pays enclin à renouer des relations avec le Burundi.

Bien que ce changement soit peut-être une méthode de survie pour le régime et le parti au pouvoir, il s'agit d'un cauchemar de relations publiques qui aliénera la plupart des partenaires qui se méfient de et détestent être associés à des dictatures, surtout celle qui veut projeter une image d'une junte militaire.

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Arthémon Masabo

Ayant fui le Burundi dans les années 1980, Arthemon Masabo continue d'observer de près la politique de son pays natal. Il est retourné au Burundi en 2007 avant de repartir, déçu par le manque de vision politique des élites d'un parti avec lequel il avait sympathisé pendant son exil.