Burundi : Le lourd héritage de Pierre Nkurunziza
Au Burundi, les livres d’histoire inscriront sûrement désormais la date du 08 juin 2020 dans leurs pages. C’est en effet ce jour-là que décède, à 55 ans, le président Pierre Nkurunziza, après 15 années de règne sans partage sur ce petit pays d’Afrique de l’Est. Généralement considéré comme un dictateur au sein de l’opinion publique internationale, le désormais ex-président laisse derrière lui un pays marqué par la pauvreté et la violence. Après près de deux décennies au pouvoir, quel est le bilan du président Pierre Nkurunziza ?
Par Moutiou Adjibi Nourou
Publié pour la première fois dans AgenceEcofin
Un président aux allures populistes mais mal-aimé
Mardi 09 juin 2020, le gouvernement burundais a décrété 07 jours de deuil national pour honorer la mémoire de Pierre Nkurunziza. Il faut dire que son décès est considéré comme une grande perte pour le parti du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) au pouvoir, et ses partisans.
« Nous sommes tous surpris, nous n’y croyons pas, je ne comprends pas, je n’arrive pas à y croire. Ce que je retiendrai de lui, c’est qu’il était courageux, il savait tout contrôler, quelle que soit la gravité de la situation », confessait au micro d’Africanews, un résident de Bujumbura.
Sur les réseaux sociaux, les hommages destinés à l’ancien président affluent. « Repose en paix cher président, héros burundais, exemple pour d’autres présidents de l’EAC [Communauté d'Afrique de l'Est, Ndlr] pour le transfert pacifique du pouvoir », a commenté Ndayiringiye Gédéon, un internaute burundais.
Cependant, loin d’attrister tous les Burundais, la mort de Pierre Nkurunziza est perçue pour beaucoup comme une véritable « délivrance ». Comme une réponse aux nombreuses politiques de restriction de la liberté d’expression mises en œuvre par l’ancien dirigeant, de nombreux internautes n’ont pas hésité à « célébrer » le décès de Pierre Nkurunziza et à fustiger le mode de gouvernance qu’il a instauré durant sa présidence.
« Pas de larmes pour un dictateur brutal », a tweeté Cyrus Kariuki. « J’avais cru qu’il était immortel, gloire à Dieu pour sa mort. C’est une bonne nouvelle pour nous », s’était réjoui un autre internaute.
Si le décès de l’ancien professeur de sport divise autant, c’est essentiellement en raison du caractère dictatorial qu’a pris sa présidence durant les dernières années de son mandat. Si ses partisans voyaient en lui l’homme providentiel envoyé par le ciel pour unir tous les Burundais, pour ceux qu’il opprimait en revanche, Pierre Nkurunziza n’était rien d’autre qu’un despote.
Il faut dire que si les premières années de règne du président Nkurunziza étaient plus ou moins stables, son élection pour un troisième mandat en 2015, en violation de la constitution marquera les débuts d’un système de gouvernance bien plus dur et plus meurtrier. Une tentative de coup d’Etat déjouée cette année-là, a servi de prétexte pour réprimer dans le sang une opposition qui demandait son départ, faisant plusieurs centaines de morts. S’en suivent alors des politiques de musellement de la presse libre, de fortes restrictions sur la liberté d’expression et des violences sur les populations qui pousseront plus de 367 000 personnes à fuir le pays, selon les derniers chiffres de l’ONU.
S’en suivent alors des politiques de musellement de la presse libre, de fortes restrictions sur la liberté d’expression et des violences sur les populations qui pousseront plus de 467 000 personnes à fuir le pays, selon les derniers chiffres de l’ONU.
Néanmoins, si l’héritage de Pierre Nkurunziza semble avant tout politique et sécuritaire, il est important de souligner qu’il est également économique et social, tant les dérives de l’ancien chef d’Etat ont profondément affecté le climat économique dans le pays est-africain.
Une économie en déliquescence
L’isolement du Burundi consécutif à la réélection contestée de Pierre Nkurunziza en 2015 aura interrompu un cycle vertueux de croissance économique débuté en 2005, et précipité le pays dans la récession. D’après les données du Fonds monétaire international (FMI), le Burundi a enregistré entre 2005 et 2014, une croissance moyenne de 4,5% avec un pic à 5,9% en 2013. Depuis 2015, cette croissance est en moyenne de -0,12%, avec des récessions de -3,8% et -0,6% enregistrées en 2015 et 2016, soit au début de la crise politique. Avec la crise du coronavirus, le FMI s’attend à une contraction de 5,5% de l’économie burundaise.
Depuis 2015, cette croissance est en moyenne de -0,12%, avec des récessions de -3,8% et -0,6% enregistrées en 2015 et 2016, soit au début de la crise politique. Avec la crise du coronavirus, le FMI s’attend à une contraction de 5,5% de l’économie burundaise.
Si les sanctions de la communauté internationale contribuent à mettre à genoux l’économie du pays enclavé, au cours de ces deux années, sa structure économique, très peu diversifiée et fortement sujette aux aléas climatiques n’a pas arrangé les choses. Près de 80% de la population dépend du secteur agricole qui pourtant ne rapporte pas suffisamment de revenus, en raison notamment d’une base exportable réduite (café et thé) et ne contribue qu’à hauteur de 40% du produit intérieur brut (PIB).
Malgré un plan national de développement prévu pour s’étendre jusqu’en 2027, le pays souffre d’un manque cruel d’infrastructures qui contribue à ralentir les investissements directs étrangers (IDE). En 2017 par exemple, un rapport de l'Institut de développement économique du Burundi (IDEC) a indiqué que le pays enregistre le plus faible taux d’IDE, par rapport aux autres pays de la sous-région.
Avec l’arrêt des financements en provenance des bailleurs de fonds, les réserves de change du pays se sont effondrées. D’après la Banque mondiale, les réserves internationales du pays ne couvraient que 0,9 mois d’importation en juin 2019. On estime aujourd’hui que la Banque centrale du Burundi (BRB) ne dispose plus que de deux à trois semaines de réserves en devises étrangères pour les importations. Cette situation a entraîné une pénurie de carburant, de médicaments et de denrées de base, habituellement importés par le pays.
La devise nationale, le franc burundais (BIF) s’est considérablement dépréciée. D’après la Banque africaine de développement (BAD), « le taux de change officiel en juin 2019 était de 1842,4 BIF pour 1 USD soit une dépréciation de 11 % par rapport à 2016 ». Une situation, encore plus exacerbée par la crise actuelle du coronavirus.
« Le bilan économique des 15 années de pouvoir de Nkurunziza est catastrophique. Il a fait reculer le Burundi sur tous les plans. Il a totalement isolé le pays de ses bailleurs de fonds traditionnels et même des pays voisins, c'est une calamité », s'est indigné sur TV5 monde Aimé Magera, porte-parole à l'étranger du principal parti d'opposition du pays.
Une situation sociale catastrophique
Depuis plusieurs années, le Burundi a du mal à se sortir du top 5 des pays les plus pauvres du monde, dont il a pris la tête en 2015. S’il y a eu quelques maigres améliorations, le pays trône encore à la 185ème place (sur 189) du classement des pays selon l’indice de développement humain (IDH) du PNUD.
Environ 75% de la population du pays vit aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté. D’après la Banque mondiale, le niveau d’insécurité alimentaire au Burundi est presque deux fois plus élevé que la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne. En 2019, l’ONU estimait à plus de 1,7 million de personnes le nombre de Burundais ayant besoin d’une aide humanitaire pour survivre.
D’après la BAD, l’espérance de vie estimée à 57 ans en 2014, a baissé à 52,6 ans en 2017. Six enfants sur dix présentaient un retard de croissance en 2017.
De plus, les indicateurs de santé du Burundi sont assez faibles. Alors que l’espérance de vie a évolué dans plusieurs pays africains, elle a considérablement baissé ces dernières années dans le pays est-africain. D’après la BAD, l’espérance de vie estimée à 57 ans en 2014, a baissé à 52,6 ans en 2017. Six enfants sur dix présentaient un retard de croissance en 2017.
« Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans est de 42,5 pour 1000 naissances vivantes. Et l’incidence du paludisme est de 156,2 pour 1000 personnes à risque », complète l’institution panafricaine. D’après la Banque mondiale, moins de 5% de la population a accès à l’électricité.
Evariste Ndayishimiye: rupture ou continuité ?
Depuis le 18 juin 2020, c’est le général Evariste Ndayishimiye qui dirige le Burundi, avec sur les épaules le lourd et difficile héritage de son prédécesseur. Si jusqu’ici l’ancien général n’était que le successeur désigné de son « mentor » Pierre Nkurunziza qui, pour de nombreux Burundais, devait continuer à conduire le pays à travers lui, désormais la ligne politique du nouveau chef d’Etat ne semble plus aussi certaine qu’avant.
Bien que de nombreux analystes et observateurs continuent d’estimer qu’Evariste Ndayishimiye ne sera qu’un « Nkurunziza bis », d’autres n’hésitent pas à faire un parallèle entre la situation actuelle que vit le Burundi et celle de l'Angola où le président Joao Lourenço, successeur désigné d’Edouardo Dos Santos, n’a pas hésité à rompre avec celui-ci dans son programme de lutte contre la corruption.
Déjà, le nouveau président semble donner raison à ceux qui croient que sa venue apportera un véritable changement dans la gestion du pays. En effet, alors que les derniers mois de la présidence Nkurunziza ont été marqués par un déni systématique de la crise du coronavirus, en expulsant notamment le représentant de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), son successeur a opéré un virage à 180 degrés. En début de mois, le nouveau président a annoncé toute une batterie de mesures contre la pandémie, s’éloignant par là un peu plus de l’attitude du gouvernement précédent.
En début de mois, le nouveau président a annoncé toute une batterie de mesures contre la pandémie, s’éloignant par là un peu plus de l’attitude du gouvernement précédent.
Hélas, la crise que traverse le Burundi est bien plus profonde que cela, et il faudra consentir des efforts colossaux pour redresser l’économie du pays et réformer son tissu social. Là encore, le nouveau président semble être conscient des difficultés. Lors de sa campagne présidentielle, il a ainsi promis de « lutter contre la pauvreté et développer le pays ». Mais le chef d’Etat est également attendu sur le terrain de la liberté d’expression et de la promotion des droits humains, malmenées sous le régime précédent.
Le nouveau dirigeant a plusieurs années devant lui pour faire ses preuves. Dans l’immédiat, l’homme de 52 ans semble surtout vouloir maintenir l’unité autour de lui et lutter contre la crise du coronavirus à laquelle de nombreuses rumeurs au sein de la population attribuent d’ailleurs la mort du défunt président Nkurunziza.